La Nupes, ennemi public de la macronie
À coups d’arguments caricaturaux, de diabolisation et de raccourcis, la majorité présidentielle Ensemble ! tente de décrédibiliser la coalition de la gauche et des écologistes.
dans l’hebdo N° 1709 Acheter ce numéro
C’est le parti du « Chávez gaulois », un parti « autoritaire qui ressemble à un clan » et qui victimise « les socialistes et les Verts ». Qui « fait prendre des vessies pour des lanternes » avec son programme qui « conduirait tout droit notre pays à la faillite ». Qui se soumet à « une vision communautariste et à l’islam politique ». La Nupes, ou l’ennemi public numéro 1, pour Bruno Le Maire comme pour l’ensemble de la majorité présidentielle.
Emmanuel Macron avait donné le ton le 10 mai, lors du lancement de la campagne des législatives pour son parti, renommé Renaissance. Devant les candidats investis par la maison commune Ensemble !, le président de la République rejetait l’idée d’un « troisième tour », tout en appelant ses troupes à se mobiliser contre l’« extrême gauche » et son projet « qui a choisi le communautarisme ». Une extrême gauche « unie sur une seule chose, la décroissance ». La retraite à 60 ans, le Smic à 1 500 euros, le blocage des prix sur les produits de première nécessité, la baisse des émissions de gaz à effet de serre de 65 % d’ici à 2030… Tout cela est balayé. Tout simplement irréaliste pour le chef de l’État.
Présenter le programme de la Nupes comme infaisable et trop coûteux, c’est le nouveau mot d’ordre de LREM. Une « imposture et une banqueroute » (Christophe Castaner), un « programme dangereux » (François Bayrou), une « faillite pour notre pays » (Stanislas Guerini), une « fable constitutionnelle » (Aurore Bergé). Les pontes de la majorité redoublent d’inventivité langagière. La Première ministre n’hésite pas à mettre sur un même plan le Rassemblement national et la Nupes, « deux blocs extrêmes [qui] font assaut de mots forts pour masquer des idées courtes ». Pour Élisabeth Borne, l’union de la gauche, ce « n’est pas le Front populaire, mais un front renversé qui prétend combattre le RN alors que certaines convergences sont troublantes ».
LREM s’inscrit dans une rhétorique droite-gauche somme toute classique.
Une course à la caricature qui dénote une certaine fébrilité chez les macronistes. Pour Émilien Houard-Vial, doctorant au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po, qui travaille sur la production et la diffusion de l’idéologie au sein de la droite française, LREM s’inscrit dans une rhétorique droite-gauche somme toute classique. « Alors qu’eux défendent une société ordonnée, la gauche est présentée comme un danger, une forme d’extrémisme, voire de populisme qui viendrait rompre l’équilibre établi. En marche insiste sur des problèmes de laïcité, de sécurité, sur les relations avec l’Union européenne, la diminution des indemnités des retraités… Des arguments habituellement utilisés par la droite. »
Outre la diabolisation du programme de la Nupes, le camp macroniste décrit l’union de la gauche comme une « OPA de La France insoumise sur le Parti socialiste » (Gilles Le Gendre, ex-président du groupe des députés marcheurs), une « prise de pouvoir idéologique de Jean-Luc Mélenchon sur toute la gauche » (Éric Woerth), une « soumission » (Manuel Valls). La soumission aux insoumis, douce ironie qui était aussi le propos d’un édito du Figaro (1er juin).
Certains vont même jusqu’à s’inquiéter pour le Parti socialiste et ses valeurs, à l’image d’Aurore Bergé, au micro de RFI au lendemain de l’accord passé entre LFI et EELV : « Ce qui attend les partis, notamment le Parti socialiste, s’ils acceptaient cette alliance, c’est tout simplement une disparition. Disparition à la fois de leurs idées, mais aussi de leur parti politique. » Les macronistes s’inquiètent pourtant beaucoup moins de l’avenir du PS lorsque des socialistes rejoignent leurs rangs.
En réalité, en tapant sur la Nupes et en présentant son programme comme un « danger » pour la France, qui conduirait au Frexit, à la « poutinophilie » et à l’« islamogauchisme », LREM escompte attirer les électeurs sociaux-démocrates qui n’ont pas voté pour Emmanuel Macron à l’élection présidentielle. « En marche a besoin de convaincre les électeurs les plus modérés de la gauche que la Nupes constitue un choix dangereux, et que c’est vers eux qu’il faut se diriger, analyse Émilien Houard-Vial. Le parti se sent menacé : la gauche unie, dans un système de vote majoritaire, ce sont des sièges en moins, ce qui représente un danger pour leur propre existence. »
Si les macronistes ne croient pas en l’hypothèse d’une majorité Nupes à l’Assemblée nationale, force est de constater que l’union de la gauche suscite une certaine nervosité. Jean-Luc Mélenchon l’avait annoncé, lors de la marche du 1er Mai : « Attendez-vous à ce que ce soit compliqué. Pourquoi ? Parce qu’ils ont peur. »