La Nupes met la Macronie sous pression
Les candidats Nupes se hissent au second tour dans près de 400 circonscriptions et grappillent de nombreux points sur des terres gagnées par LREM il y a cinq ans.
dans l’hebdo N° 1710 Acheter ce numéro
Au lendemain de la présidentielle, toute la classe politique s’était mise d’accord sur la théorie des trois blocs – populaire, centriste et d’extrême droite – qui allaient supposément régir les prochaines années de la vie politique. Tout était plié. Mais ces législatives ont soudainement mis à bas ce système. À la place ? Un bras de fer imposé par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) à la coalition de partis ralliés à Emmanuel Macron, nommée Ensemble ! Avec un petit avantage à l’échelle nationale, l’alliance de gauche a secoué le monde politique en place. Son résultat préfigurant un retour du clivage droite-gauche au sein de l’hémicycle de l’Assemblée nationale pour les cinq prochaines années.
Un résultat qui a de quoi réjouir Jean-Luc Mélenchon, chef de file de l’alliance de gauche, à la fois ému et confiant au moment de s’exprimer le 12 juin aux alentours de 20 h 30, assez tôt après les premières projections : « La Nupes regarde le peuple français avec la tranquillité du travail accompli et d’une perspective radieuse qui se présente à lui. » Au QG de la Nupes, à la Fabrique, dans le dixième arrondissement de Paris, le leader insoumis ne crie pas victoire mais prend la mesure de cette réussite électorale. À cette heure-là, il pense que les électeurs pourront glisser un bulletin de vote aux couleurs de la gauche rassemblée dans 500 circonscriptions lors du second tour. Le chiffre se révélera un tantinet optimiste, mais la vague Nupes est bel et bien réelle. « La vérité, analyse son leader en campagne depuis le 19 avril pour demander aux électeurs de l’élire à Matignon, c’est que le parti présidentiel, au soir du premier tour, est battu et défait. » Une analyse reprise par Clémence Guetté, tête pensante de la campagne présidentielle de LFI, arrivée en première position dans la 2e circonscription du Val-de-Marne (47,46 %) : « On est la première force en général, même pas la première force d’opposition. » Un air de victoire souffle sur cet inédit cartel des gauches.
La gauche rassemblée peut espérer tripler son nombre de députés.
Le satisfecit est compréhensible. Car, il y a cinq ans, la gauche, alors largement désunie, était éliminée du premier tour dans plus de 400 circonscriptions. La situation est désormais bien différente. Si elle n’arrive pas à se hisser au second tour dans quelques départements très difficiles comme le Var, les Ardennes ou les Vosges, la gauche rassemblée y accède dans 386 circonscriptions, se place en tête dans 194 et compte déjà quatre élus dès le premier tour, dont deux primo-candidats : Sarah Legrain dans la 16e circonscription de la capitale, et la directrice de la communication de la campagne, Sophia Chikirou, dans la 6e.
D’autres figures de la coalition se trouvent également en très bonne posture. Mathilde Panot dans le Val-de-Marne (54,84 %), Aurélie Trouvé en Seine-Saint-Denis (53,53 %), Adrien Quatennens dans le Nord (52,05 %) ou Manuel Bompard (56,04 %), candidat à Marseille, ne ratent l’élection au premier tour qu’en raison de l’abstention.
Pas d’inquiétude non plus pour Julien Bayou (48,88 %) et Sandrine Rousseau (49,2 %) à Paris, ou Olivier Faure en Seine-et-Marne (46,9 %). La gauche rassemblée peut espérer, selon les projections des instituts de sondage, tripler son nombre de députés socialistes, écologistes, communistes et insoumis – ils étaient 60 dans la législature précédente. Voire davantage si les abstentionnistes du premier tour, singulièrement les jeunes, retrouvent le chemin des urnes.
Les électeurs de gauche ont exprimé un rejet clair des candidatures dissidentes, et la fronde socialiste des « non-soumis » emmenée par la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, n’a pas pesé. Elle a multiplié les échecs, même dans des départements plutôt favorables. En Corrèze, Annick Taysse, la protégée de François Hollande, n’obtient pas plus de 10 % des voix dans le fief de l’ancien président. Sur 70 investis, seulement 11 de ces candidats sont présents au second tour, dans des circonscriptions plutôt rurales et en outre-mer. Seuls résultats positifs ? Le député sortant de la 3e circonscription des Pyrénées-Atlantiques, David Habib, soutenu par Carole Delga, a profité de l’absence d’un candidat Ensemble ! pour être en tête. Tout comme le maire de Saint-Clar dans le Gers, David Taupiac, qui a refusé l’investiture de la Nupes, Dominique Potier en Meurthe-et-Moselle et l’éternel ennemi de Ségolène Royal, Olivier Falorni, en Charente-Maritime. Un maigre bilan obtenu aussi aux dépens des électeurs de gauche. Dans neuf circonscriptions dans le Pas-de-Calais, la Sarthe ou les Vosges, les candidats dissidents ont empêché les candidats Nupes d’accéder au second tour, laissant le Rassemblement national en tête face à des candidats LR et de la majorité.
Jamais un président n’a eu une assise électorale aussi faible lors des législatives.
Si la Nupes obtient de très bons résultats dans des fiefs de gauche connus comme le Val-de-Marne, la Seine-Saint-Denis ou les Bouches-du-Rhône, elle bouscule les rapports de force dans de nombreux territoires. Dans le Rhône, terre profondément marcheuse, où LREM l’emportait il y a cinq ans dans 12 des 14 circonscriptions, la Nupes accède au second tour dans 12 circonscriptions et se place en tête dans 6 d’entre elles. Et la coalition reprend du poil de la bête dans d’anciennes baronnies socialistes. Comme dans l’Hérault, tenu aujourd’hui par 7 députés appartenant à la majorité présidentielle, où la Nupes réalise un carton plein en réussissant à qualifier tous ses candidats dans chacune des neuf circonscriptions du département. À Paris, qui ne comptait plus que 2 députés de gauche, elle arrive en tête dans 12 des 18 circonscriptions et se qualifie dans 16 d’entre elles. En Bretagne, où LREM avait raflé 24 circonscriptions sur 27, les candidats de la Nupes se qualifient dans toutes les circonscriptions, sauf deux. Candidat dans la 6e circonscription du Finistère, le marcheur de la première heure et stratège de la Macronie Richard Ferrand devance la candidate Nupes, Mélanie Thomin, de 1 181 voix seulement. Un résultat plus qu’emblématique puisqu’Emmanuel Macron a fait de Spézet, une terre rurale au cœur de la Bretagne, l’un de ses rares déplacements de campagne, le 5 avril, cinq jours avant le premier tour de la présidentielle.
C’est tout un symbole : Amélie de Montchalin, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires du nouveau gouvernement, s’est bel et bien hissée au second tour des législatives dans la 6e circonscription de l’Essonne, là où elle avait déjà été élue en 2017. Mais 10 points derrière le candidat de la Nupes, le socialiste Jérôme Guedj. Un phénomène isolé ? Pas tellement. Clément Beaune, ministre délégué chargé de l’Europe et candidat à Paris, se retrouve en ballottage défavorable face à la candidate de la Nupes, Caroline Mecary. Tout comme le ministre de la Transformation et de la Fonction publique, Stanislas Guerini, qui se retrouve derrière l’écologiste Léa Balage El Mariky.
D’autres anciennes personnalités de la Macronie sont aussi en difficulté. Dans la Somme, l’ex-ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, est en ballottage défavorable, tout comme le rapporteur général du Budget, Laurent Saint-Martin, l’ancienne ministre des Sports, Roxana Maracineanu, larguée derrière la gouvernante de l’hôtel Ibis des Batignolles, Rachel Keke, dans le Val-de-Marne, et l’ancien secrétaire d’État chargé des retraites, Laurent Pietraszewski, dans le Nord.
Autres gifles : l’élimination dès le premier tour de l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, parachuté dans le Loiret, arrivé derrière le candidat du Rassemblement national, Thomas Ménagé, et celui de la Nupes, Bruno Nottin. Même sort pour l’ex-ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, qui s’efface derrière le candidat LR, Michel Herbillon, et celui de la Nupes, Éric Pagès, dans le Val-de-Marne.
« C’est un désaveu pour ceux qui incarnent la Macronie », autopsie Manon Aubry, euro-députée LFI. C’est aussi la preuve qu’en la jouant projet contre projet face au gouvernement Borne, la campagne de la Nupes s’est révélée payante et a permis le retour de la gauche et des écologistes sur le devant de la scène. Avec 25,81 % des voix, jamais un président n’a eu une assise électorale aussi faible lors des législatives qui ont suivi la présidentielle sous la Ve République. Même si la possibilité d’imposer une cohabitation semble inaccessible, le pari est réussi : la coalition macroniste risque de ne pas disposer d’une majorité absolue.