« L’Accélération de l’histoire », de Christophe Bouton : Arrêt sur la vitesse
Philosophe spécialiste de Hegel, Christophe Bouton livre une réflexion sur l’accélération du temps dans nos sociétés contemporaines, souvent vécue comme une marque de modernité.
dans l’hebdo N° 1712 Acheter ce numéro
Depuis plus d’une décennie, le philosophe allemand Hartmut Rosa, dans le sillage de l’apport théorique et politique de l’école de Francfort, nous a habitués à ses analyses sur la question de l’« accélération » du temps, de l’histoire, du rythme de nos sociétés. Une accélération ressentie largement, du moins par les Occidentaux, depuis l’avènement de ce qu’il est d’usage de désigner comme la « modernité ».
Les deux ouvrages d’Hartmut Rosa, d’abord Accélération, puis Aliénation et accélération (La Découverte, 2010 et 2012), ont contribué à l’élaboration d’une réflexion – particulièrement pertinente à notre époque – sur l’évolution de notre perception d’un tempo, des rythmes, de l’histoire, que déjà Habermas, principal héritier de cette école de pensée, après Adorno, Marcuse ou Oskar Negt, avait entrevue. Ainsi, Hartmut Rosa proposait, après Habermas et Koselleck, un « diagnostic » de cette modernité « tardive » : celle de « l’augmentation des rythmes », de « l’accélération de l’histoire », « d’une vitesse ».
Toute la force de l’essai publié aujourd’hui par Christophe Bouton, professeur de philosophie à l’université de Bordeaux-Montaigne, est de s’interroger sur l’actualisation d’une supposée « accélération de l’histoire », quand les structures économiques, politiques et sociales de la société contemporaine demeurent, selon lui, « les mêmes ». Ce que Rosa appelait une « immobilité fulgurante ». Et quand de véritables résistances sont apparues face à cette « spirale de l’accélération ».
Car la relativité de la notion de modernité, davantage perçue aujourd’hui par ce « sentiment » d’accélération, se traduirait – à la fois – par le sentiment d’une « rupture avec le passé » et celui d’une vraie « dissolution de l’avenir ».
Or, depuis 1750 environ (l’époque des Lumières), cette notion d’accélération, dans ses différentes déclinaisons (technique, sociale et de rythme de vie), a aussi engendré la prise de conscience d’une « surchauffe des plus dangereuses » (surpopulation, surencombrement de la planète, pollution, baisse des ressources énergétiques, etc.). Quand l’être humain a enfin compris sa place dans son environnement (c’est-à-dire au sein de l’Anthropocène), et quand lui est apparue la vitesse spectaculaire des effets destructeurs de sa propre activité sur la planète, sans cesse démultipliés.
Christophe Bouton vient justement interroger, ou plutôt relativiser, voire réévaluer, le « récit » de cette (apparente) accélération de l’histoire. Son livre est une tentative de donner « un aperçu de la poychromie de la modernité, à la manière d’un prisme qui décompose la lumière en un spectre multicolore »
L’Accélération de l’histoire. Des Lumières à l’Anthropocène Christophe Bouton, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 392 pages, 24 euros.