Lalalar : Souk en transe

Face à la rigidité ultraconservatrice incarnée par l’affreux Erdogan, l’un des plus sinistres sires actuellement au pouvoir dans le monde, il existe heureusement de précieux contre-feux en Turquie, allumés en particulier sur la turbulente scène musicale alternative d’Istanbul. Formé en 2018 par trois piliers de ladite scène – Ali Güçlü Simsek (chant, basse), Barlas Tan Özemek (guitare, chant) et Kaan Düzarat (synthés, machines) –, le trio Lalalar apparaît aujourd’hui comme son principal fer de lance.

Après plusieurs singles, le groupe – qui s’est aussi (et surtout) fait connaître grâce à ses prestations live, notamment aux Transmusicales en 2021 – vient de publier son très attendu premier album, Bi Cinnete Bakar, chez le salutaire label genevois Les Disques Bongo Joe. Imparable hymne nocturne, sous-tendu par une colossale ligne de basse (apte à faire se déhancher une armée de squelettes), « Isyanlar » ouvre l’album en fanfare. Au diapason, en large majorité à la fois sombres et dansants, les quatorze autres morceaux combinent rock, électro et folk psyché turc avec maestria, hormis deux ou trois fâcheux dérapages vers le rock fusion – par exemple sur « Ceketini Al Yoluna Bak ». Scandé par une dantesque rythmique proto-techno, « Kötüye Bisey Olmaz » se montre spécialement redoutable.

Trahissant l’influence prépondérante de la new-wave la plus caverneuse (Bauhaus, Sisters of Mercy, Liaisons Dangereuses…), l’ensemble – chanté entièrement en turc – paraît surgir des tréfonds vibrants d’un souk musical en proie à une intense poussée de fièvre (du samedi soir). Dans la même sphère, on recommande également un autre premier album fraîchement paru, celui du jeune quatuor marseillais Biensüre, grand mix tout aussi euphorisant. La sono mondiale a encore de belles nuits devant elle.

Bi Cinnete Bakar****,Lalalar (Les Disques Bongo Joe/L’Autre Distribution).

Biensüre****,Biensüre (We Want Sounds/Modulor).