Le programme caché de Macron
L’actuelle majorité présidentielle poursuit sa stratégie de l’esquive entre les deux tours. Mais n’incite pas à la confiance quant à ses intentions réelles.
dans l’hebdo N° 1710 Acheter ce numéro
Dans la bouche d’Amélie de Montchalin, ce rappel des us et coutumes démocratiques est pour le moins cocasse : « D’habitude, a lancé la ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, lundi 13 juin sur CNews, une élection, c’est projet contre projet. » Une tradition dont Emmanuel Macron s’est grandement émancipé lors de la campagne présidentielle, refusant de débattre avec ses concurrents. Un évitement qu’il a prolongé par toutes sortes de moyens à l’approche des législatives, conseillant même à ses troupes d’en dire le moins possible, et notamment de ne plus évoquer la réforme des retraites, pour mieux franchir l’obstacle de ce scrutin.
Cette stratégie de l’esquive, la ministre, ordinairement présentée comme un des espoirs de la Macronie, ne l’ignore pas. Elle la pratique elle-même. En ce lendemain de premier tour, sèchement devancée par le socialiste Jérôme Guedj, elle refuse tous les débats que lui proposent les médias avec son adversaire, préférant qualifier sur la chaîne de Bolloré les candidats de la Nupes d’« anarchistes d’extrême gauche », soumis à des puissances étrangères, « à une forme d’antisémitisme ». Une logorrhée caricaturale qui évite aux candidats de la majorité présidentielle d’aborder les questions programmatiques et n’aboutit in fine qu’à renforcer l’abstention.
Car les électeurs attendent d’être informés des intentions concrètes de l’exécutif. À l’unisson, les candidats étiquetés Ensemble ! annoncent se présenter pour donner au président de la République la majorité qui lui permettra de mettre en œuvre son projet. Mais s’il en a bien présenté un, le 17 mars, lors d’une conférence de presse marathon, des mesures évoquées n’ont vraiment émergé que le report de l’âge de départ à la retraite à 65 ans, l’obligation d’une vingtaine d’heures d’activité pour bénéficier du RSA ou encore l’incitation faite aux professeurs de « travailler plus » et sur de nouvelles missions pour être augmentés « substantiellement ».
80 milliards c’est le coût annuel d’un retour à 3 % de déficit en 2027, promis par Emmanuel Macron.
Dans la litanie des promesses macroniennes compilées sur 24 pages lors de la présidentielle, reste un point aveugle soulevé par Jean-Luc Mélenchon, qui déplore qu’« il n’a[it] jamais pu être mis en débat » : le gouvernement a « promis imprudemment à la Commission européenne » un retour à 3 % de déficit en 2027. Ce qui équivaut à retirer 80 milliards du budget de l’État, soit, précise le leader de la Nupes, « l’équivalent de tout le budget du ministère de l’Intérieur et du ministère de l’Éducation ». Pas moins.
Cet engagement à ramener le déficit dans les clous des critères de Maastricht existe bel et bien. Comme il en a l’obligation chaque année à la mi-avril – mais cette fois-ci avec plusieurs jours de retard officiellement pour cause de présidentielle, et sans aucune publicité –, le gouvernement de Jean Castex a transmis début mai à la Commission européenne son programme national de réforme 2022 (PNR) dans le cadre du semestre européen. Un document de 184 pages qui détaille les actions et réformes engagées, en cours, ainsi que celles projetées. La tonalité y est beaucoup moins avenante que dans le livret programmatique de Macron.
En retour, le 23 mai, la Commission européenne a communiqué ses recommandations à tous les pays. Dans celles visant notre pays, il est notamment question de « réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes » et de fournir « des possibilités supplémentaires d’apprentissage en entreprise ». La Commission y recommande un « assainissement progressif » des finances publiques, et note que, « le 4 mai 2022, la France a présenté son programme national de réforme pour 2022 » mais « n’a pas présenté son programme de stabilité » censé l’accompagner. Ce programme que le gouvernement, selon La lettre A (22 mars), avait décidé de ne pas présenter avant la présidentielle, reste introuvable dans l’entre-deux tours des législatives. En 2021, il avait en revanche été présenté à son de trompe par Bruno Le Maire. En l’absence d’un nouveau document, cette version reste la référence de la politique économique du gouvernement. La trajectoire budgétaire qu’il dessine, avec un retour sous la barre des 3 % en 2027, fait bien état d’une obligation d’économies de 80 milliards par an.
Avec un tel cadre, comment Emmanuel Macron va-t-il pouvoir assumer ses promesses sur le pouvoir d’achat, l’hôpital, l’éducation, etc. ?, interrogent les principales figures de la Nupes. Faute de réponse du camp Macron, Jean-Luc Mélenchon a suspecté dimanche soir ce dernier d’avoir « l’idée d’une TVA augmentée qui permettrait de financer ce projet ». Abondant dans le même sens, le lendemain sur France 2, Olivier Faure certifie que ce « programme caché est la raison pour laquelle depuis des semaines [Emmanuel Macron] ne dit rien ». « Nous avons des informations, qui nous laissent penser que dans les tiroirs de Bercy il y a un projet d’augmenter une part de la TVA », déclare-t-il en sommant le Président de dire « clairement » où il compte trouver les 80 milliards qui manquent pour assurer son propre budget.
Interrogé sur France Inter, Gabriel Attal maintient qu’il n’y aura ni hausse des impôts ni cure d’austérité. « D’abord il y a des dépenses de crise qui vont disparaître, a complété Clément Beaune, ministre délégué chargé de l’Europe. Et puis, surtout, réduire le déficit, ça se fait aussi par la croissance et le plein-emploi qui apportent des ressources nouvelles. » Circulez, il n’y a pas sujet. Vraiment ?
L’absence de transparence du gouvernement sur son bilan comptable n’incite guère à la confiance. Le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2021 n’a toujours pas été déposé, en contravention avec l’article 46 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) qui en fait obligation avant le 1er juin. Un retard qui empêche « la représentation nationale de prendre connaissance des éléments d’exécution budgétaire et d’informer les Français sur le bon usage de leurs impôts et l’efficacité de l’action publique », s’est plaint la -commission des Finances du Sénat. Pour justifier le report de ce dépôt « après les législatives », le gouvernement invoque les « contraintes de la réserve [gouvernementale] liée à cette année électorale ». « Il s’agit juste de sauter les législatives », tempête le sénateur Claude Raynal, son président. Avec pour conséquence de raccourcir d’un mois à une semaine le délai d’examen du texte par les sénateurs.
Comment va-t-il assumer ses promesses sur le pouvoir d’achat, l’hôpital, l’éducation, etc. ?
Et la recherche d’économies guide déjà le gouvernement. Sur un dossier éminemment écologique, alors qu’Emmanuel Macron n’a dévoilé aucun programme détaillé pour sa politique de transports, on a appris récemment que l’État avait enfin signé, le 6 avril, dans une grande discrétion, le contrat de performance qui doit fixer la trajectoire de SNCF Réseau jusqu’en 2030. La finalisation de ce document sous-titré _« développer l’usage du train » avait pris deux ans de retard. Problème : le texte prévoit d’investir 2,8 milliards d’euros par an pour la régénération du réseau structurant. Mais rien pour sa modernisation ! Pour le PDG de SNCF Réseau, Luc Lallemand, c’est notoirement insuffisant pour doubler d’ici à 2030 le nombre de voyageurs et « atteindre les objectifs du “green deal” ».
Dans ses multiples dispositions, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI), adopté en conseil des ministres le 16 mars – il sera examiné par la nouvelle Assemblée nationale prochainement –, prévoit, lui, d’économiser des procédures judiciaires forcément gourmandes en juges, greffiers et procureur, en généralisant les amendes forfaitaires délictuelles (AFD) _« à tous les délits punis de moins d’un an de prison ». Si cela est de nature à satisfaire les syndicats de police qui hurlaient l’an dernier devant le Palais-Bourbon que « le problème de la police, c’est la justice », les justiciables y perdraient en garanties puisque sur un simple constat de policiers ou de gendarmes ils pourraient être condamnés à une amende qu’on imagine importante, sans procédure contradictoire. Un déni de justice.
Autre dossier sur lequel il serait bon qu’Emmanuel Macron précise ses intentions, puisque la réduction du déficit de l’Unedic est un de ses mantras : le décret ayant réformé l’assurance chômage n’est valable que jusqu’au 31 octobre. En principe, la loi oblige le gouvernement à envoyer aux partenaires sociaux quatre mois avant, soit d’ici à la fin juin, « une lettre de cadrage » pour renégocier une nouvelle convention d’assurance-chômage. Or aucun bilan n’a été dressé de la précédente, qui a diminué substantiellement les allocations de centaines de milliers de chômeurs : le gouvernement Castex, dont la ministre du Travail était Élisabeth Borne, n’a jamais installé, comme il s’y était engagé, le « comité de suivi de la réforme » avec les partenaires sociaux.
Programme caché ou pas, la stratégie de l’esquive et le non-respect par le gouvernement des engagements qu’il s’est lui-même imposés suscitent des doutes légitimes sur ses intentions réelles. Et inquiètent.
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