Législatives : au QG de la Nupes, «la machine, elle est bien secouée ce soir»
L’objectif «Mélenchon Premier ministre» n’est pas rempli, mais l’état-major comme les militants n’ont qu’un mot à la bouche: «victoire».
Rien ne semblait pouvoir gâcher la soirée. Aux alentours de 19 heures, à moins d’une heure des premiers résultats, Caroline Mecary entre discrètement par la porte de l’espace presse de l’Élysée Montmartre, ancien temple du rock dans le 18e arrondissement de Paris, et glisse aux militants qui l’abordent et la félicitent avec imprudence : «Tant que ce n’est pas fait, ce n’est pas fait.» Mais son sourire ne trompe pas. À cet instant, elle est au coude-à-coude avec son opposant dans la 6e circonscription de Paris et ministre chargé de l’Europe Clément Beaune. Elle connaîtra sa défaite trois heures plus tard mais ne perdra jamais son sourire. «La campagne de la Nupes a bousculé le jeu et va maintenant faire bouger les choses», analyse l’avocate très médiatique. On pense collectif : les petites défaites ne viendront jamais entacher la grande victoire nationale.
Alors que les estimations circulent en interne au sein des têtes pensantes des partis comme dans les rédactions, Alexis Corbière sort du QG au même moment pour se diriger vers les plateaux de BFM TV, dans le 15e arrondissement. Le député de Seine-Saint-Denis réélu dès le premier tour promet fermement un «grand changement à l’Assemblée». Rien n’est encore officiel mais l’état-major de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) parle déjà d’Emmanuel Macron au passé. «C’est le résultat d’un président qui ne s’occupe pas des préoccupations des gens. Au lieu de parler pouvoir d’achat, ils ont préféré parler sécurité et immigration», remarque Aurélie Trouvé, ancienne dirigeante d’Attac, membre de l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon et désormais nouvelle députée de Seine-Saint-Denis.
«Un camouflet comme jamais»
À 20 heures, le verdict tombe. Entre 150 et 180 sièges sont promis à la Nupes selon les premières estimations. Mais une chose est sûre : Ensemble!, la coalition de partis ralliés à Emmanuel Macron, n’atteint pas 289 sièges. Comprendre : le Président n’aura pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Une défaite pour la majorité qui prend des déclinaisons différentes. C’est «une énorme claque», pour Antoine Léaument, responsable de la communication numérique de Jean-Luc Mélenchon et élu député en Essonne, «un camouflet comme jamais pour la macronie», selon Julien Bayou, leader d’EELV et élu dans la 5e circonscription de la capitale, ou «la déroute _totale du parti présidentiel»_ pour Jean-Luc Mélenchon, à la tribune, devant un parterre de près de 300 militants. Dans le quartier général, une seule chanson règne : celle d’une grande réussite électorale.
On en oublierait presque que la Nupes s’était aussi fixé un objectif en répétant sans cesse le slogan «Mélenchon Premier ministre», et que celui-ci ne le sera très logiquement pas. Une victoire en demi-teinte? Pas du tout, selon le candidat anciennement autoproclamé à Matignon, qui confesse «changer de poste de combat» : «Nous avons réussi l’objectif politique que nous nous étions donné en moins d’un mois de faire tomber celui qui, avec autant d’arrogance, avait tordu le bras de tout le pays pour être élu sans qu’on sache pour quoi faire.»
«À plus, mes petits!»
À l’extérieur, sur le boulevard Marguerite-de-Rochechouart, aux portes de l’Élysée Montmartre, la foule est grande. Et malgré les quelques gouttes de pluie qui commencent à tomber, Jean-Luc Mélenchon, pour ce qui est peut-être sa dernière campagne électorale, sort pour «dire un petit bonsoir». Dans un discours totalement improvisé qui prend parfois des airs de cours de philosophie, il s’adresse à une masse de visages plutôt jeune : «Sans cesse, la vie va vous proposer le défi. Et le défi, il secoue l’ordre des choses et bouscule les lignes du présent. Et en même temps il vous fait une proposition, un bout de lumière vers lequel il faut courir […]. Ces défis qui arrivent, on va les relever avec une force qu’on n’avait pas. Et la machine à faire tenir les gens en place, elle est bien secouée ce soir.» En bref, professeur Mélenchon vient s’assurer de la bonne transmission d’un combat qu’il a longtemps mené. «Plus grands sont les défis, plus grandes sont les opportunités. Plus le vieux monde pourri dans lequel nous vivons a du mal à se maintenir en place politiquement, plus la possibilité est grande pour nous. Plus le capitalisme a du mal à nuire, plus la possibilité du solidarisme est là», liste-t-il avant de lancer : «Vous êtes beaux comme un matin qui se lève. J’ai confiance. À plus mes petits!»
Dans la salle, on crie «démission!» au moment où Damien Abad, ministre des Solidarités réélu dans l’Ain, s’affiche à l’écran, «au revoir!» quand Richard Ferrand, macroniste de la première heure et président du Palais Bourbon, annonce sa défaite, ou «joyeux anniversaire!» lorsque la rumeur circule que la ministre de la Transition écologique, Amélie de Montchalin, qui fête son anniversaire ce dimanche, est annoncée perdante dans l’Essonne face au socialiste Jérôme Guedj. Si, comme Johanne, la vingtaine et militante de La France insoumise, beaucoup espéraient que la Nupes obtienne la majorité, on relativise: «Ce n’est pas très grave: la gauche reste forte et Macron a peur.» L’ex-ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, le premier questeur de l’Assemblée Florian Bachelier, la ministre de la Santé Brigitte Bourguignon… Le catalogue est long mais ne fait que réchauffer l’ambiance de la salle. Entre deux accolades, un militant, la trentaine, se réjouit d’avoir «permis de donner un bon coup de balai à Macron». Les larmes qui coulaient sur les joues de quelques militants le soir du 10 avril ne sont plus là. Cette fois, c’est bien une «victoire, une vraie», assure Quentin, qui a pu voter pour la première fois à la présidentielle.
«Première force d’opposition à l’Assemblée»
Rien ne semble arrêter la Nupes, cette «première force d’opposition à l’Assemblée», comme aime la qualifier l’état-major de ce cartel des gauches inédit. Sur l’écran géant, les journalistes de BFM TV annoncent une «breaking news» : la cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, quitte l’Élysée en voiture aux alentours de 22 heures. Et, soudain, l’écran s’éteint. Parfois, les hasards sont symboliques.
Et demain? «On a vu le bruit que nous avons fait avec 64 députés de gauche, attendez de voir avec le triple», prévient Manon Aubry, députée européenne de LFI, juste avant de filmer avec son téléphone la salle qui applaudit les résultats de Rachel Kéké, élue dans le Val-de-Marne face à l’ancienne ministre des Sports Roxana Maracineanu. «Le 10 au soir, on était fatigués, paralysés… Mais tout change maintenant pour porter des combats sur le climat et sur le social», projette Julien Bayou, chef de file d’EELV et nouvellement élu dans la 5e circonscription de Paris. Même son de cloche du côté du numéro un du Parti socialiste, qui conserve son siège de député en Seine-et-Marne : «Maintenant, on va assister à une reparlementarisation, analyse Olivier Faure. On était habitués à voir une majorité aux ordres, désormais tout change. Je ne veux pas d’un pays condamné une nouvelle fois pour inaction climatique, je ne veux pas de la retraite à 65 ans… Nous serons donc présents.»
Aux alentours de minuit, les équipes d’organisation remballent, mais des militants cherchent toujours «le chemin du bar». Ils ne veulent pas entendre parler de la fin de cette soirée. «Ce qu’on vit est incroyable. Il y a un mois, tout ça était impensable», dit l’une des dernières militantes sur place, qui jette un dernier coup d’œil dans le rétro vers la campagne avant de profiter d’un dernier verre et de la place que prend la couleur rouge (représentant la gauche unie) au sein de l’Assemblée, selon les estimations diffusées par les chaînes d’info en continu. Même si le champagne n’était pas au programme, la soirée a définitivement un goût de victoire.
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