Lula, une passion brésilienne
Lors de sa détention, entre 2018 et 2019, l’ex-Président a reçu 25 000 lettres, que des universitaires ont analysées. Un trésor.
dans l’hebdo N° 1708 Acheter ce numéro
C’est une mine unique. Au cours de ses dix-huit mois de détention, l’ex-président du Brésil accusé de corruption (blanchi depuis) a reçu 25 000 lettres et colis de soutien. Un flot que ses proches ont réussi à canaliser au prix d’une énergie folle, avec la conscience d’un extraordinaire mémorial en formation sous leurs yeux.
Une équipe de chercheuses et de chercheurs, sous la direction de l’historienne Maud Chirio, a pu accéder à ce fonds pour l’analyser. Du moins en partie, tant la tâche mérite encore des mois d’efforts. Et c’est passionnant. À mille lieues de la bafouille de soutien formatée, Mon cher Lula révèle un véritable matériau social et politique.
On écrit à l’ex-Président de tous les coins du Brésil. Des personnes lettrées, bien sûr, mais surtout une cohorte impressionnante de gens du peuple, parmi ces 11 millions de familles que les gouvernements Lula ont extraites de la pauvreté. Le surgissement d’invisibles qui ne prennent jamais la plume. On s’adresse à Lula à cœur ouvert, dans une relation singulière (impensable en France !) où le tutoiement s’impose quand on se définit certes camarade de luttes sociales, mais avant tout complice d’infortunes et de cicatrices.
Les lettres les plus émouvantes racontent des tranches de vie dans leur plus grande simplicité, familles nombreuses où l’on ne mangeait pas à sa faim, galères pour tenter d’étudier, bribes de réussite, parfois plus. À l’image de la trajectoire de l’ex-métallo issu du Nordeste pauvre. Dans un étonnant mouvement de retour « et dans une ferveur inouïe », analysent les universitaires, c’est le peuple de Lula qui le rétribue d’affection, de soutien, de solidarité, de confiance absolue dans son innocence. « Ces voix se font ainsi porteuses d’une histoire populaire du Brésil, des dernières décennies à aujourd’hui. »
Aux milliers de personnes venues l’accompagner pour ses derniers instants de liberté, ce jour d’avril 2018, l’imminent détenu avait demandé de devenir « des millions de Lula » afin de le démultiplier à l’extérieur. Pour les signataires de l’ouvrage, l’ardente littérature adressée à la prison de Curitiba dessine les contours d’une réponse, « parole populaire qui exprime et incarne un rapport sensible à la politique ». Tellement brésilien ! Et indissociable du moment que vit le pays, une élection présidentielle à laquelle Lula a décidé de se présenter, et qui pourrait bien le voir défaire, en octobre prochain, l’épouvantable Bolsonaro. De ces 25 000 lettres sourd l’intense volonté d’une réhabilitation du héros de la vie par des millions de personnes qui furent laissées pour compte avant que parvienne au pouvoir leur cher Lula. « Nous sommes les petits brouillons d’une grande histoire », résume l’une des expéditrices.
Mon cher Lula. Lettres à un président en détention Maud Chirio (dir.), traduit du portugais (Brésil) par Mathieu Dosse, Anamosa, 240 pages, 27 euros.