Nupes : Les ambitions d’un programme d’union

Dans son programme commun, la Nupes assume d’initier les bouleversements écologiques et sociaux qu’appelle l’époque. Synthèse en six points.

Malika Butzbach  et  Vanina Delmas  et  Yann Mougeot  • 7 juin 2022 abonné·es
Nupes : Les ambitions d’un programme d’union
Jean-Luc Mélenchon en visite à Poitiers, naux côtés de Léonore Moncond’huy, maire écologiste de la ville, le 2 juin.
© YOHAN BONNET / AFP

Un refus, ostensible, de cacher de profondes ambitions de transformation. Dans leur programme commun, les partis coalisés de la Nupes assument d’initier les bouleversements écologiques et sociaux qu’appelle l’époque. Si la préservation de l’environnement est clairement exposée, d’autres lignes de force apparaissent en filigrane : endiguer la pauvreté, refondre un système de santé en perdition et placer, enfin, la lutte contre les inégalités scolaires au rang des priorités de l’Éducation nationale. Les atermoiements et la politique des petits pas des années PS appartiennent bien au passé.

L’écologie, une colonne vertébrale

Trois lignes conductrices se dégagent du projet de la Nupes : la règle verte afin de « ne pas prendre plus à la nature que ce qu’elle peut reconstituer », l’objectif d’une baisse de 65 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) à horizon 2030, et la référence à de « nouveaux indicateurs de progrès humain pour mettre l’économie au service des besoins et des critères de bien vivre ». Une multitude de propositions radicales, à la symbolique forte, sont plus ou moins détaillées : interdire les fermes-usines, stopper l’étalement urbain, refuser les OGM, créer un ministère de la Production alimentaire et 300 000 emplois agricoles, isoler thermiquement plus de 700 000 logements par an, protéger les forêts en interdisant la plupart des coupes rases et en améliorant les conditions de travail des forestiers, ou interdire la publicité des produits et services les plus émetteurs de GES.

La réalité climatique est prise en compte dans quasiment tous les chapitres du programme.

Une attention particulière est portée sur les outre-mer pour les transformer en « avant-postes de la planification écologique et des circuits courts », mais aussi garantir le droit à l’eau aux habitants. De plus, un plan d’urgence sera établi pour dépolluer les terres touchées par le chlordécone et prendre en charge les victimes de ce pesticide. La notion de justice sociale est présente partout, par exemple dans l’idée d’assurer gratuitement les premières quantités d’énergie « indispensables à une vie digne », ou dans les aides destinées aux ménages à faibles revenus pour acquérir des véhicules moins polluants ou électriques.

Un plan massif de 200 milliards d’euros sur cinq ans serait consacré aux emplois et à la réindustrialisation du pays via des filières cruciales pour la bifurcation écologique et sociale. La prise en compte de la réalité climatique se retrouve dans quasiment tous les chapitres du programme, démontrant effectivement qu’il s’agit d’un socle politique. Ainsi, l’ISF climatique pour « taxer les gros pollueurs, calculé selon l’empreinte carbone des actifs détenus », serait instauré, et la mise en œuvre de l’adaptation au changement climatique apparaîtrait dans la loi de programmation militaire. La Nupes pointe également les sujets où les désaccords restent tangibles comme la chasse ou la corrida pour le PS et le PCF. Le plus significatif concerne la transition énergétique, puisque le passage à 100 % d’énergies renouvelables, la sortie totale du nucléaire et l’abandon des EPR ne font pas l’unanimité, notamment auprès des communistes, tandis que les socialistes préféreraient optimiser la durée de vie des centrales nucléaires actuellement en service.

(Re)mettre l’art et la culture dans la vie quotidienne

En matière de politique culturelle, la Nupes revendique un programme « de rupture avec les dynamiques néolibérales actuelles dont le gouvernement d’Élisabeth Borne symbolise la continuité », résume Martin Mendiharat, qui a coécrit le livret « Culture » de l’Union populaire. Comme le proposaient plusieurs partis de gauche pour l’élection présidentielle, la Nupes prévoit de porter le budget consacré à l’art, à la culture et à la création à 1 % du PIB par an. « Cela représente une hausse de 1,4 milliard d’euros pour le ministère de la Culture, soit un tiers de son budget annuel. » Cet effort financier permettrait notamment de « restaurer un service public de la culture ambitieux » et de reprendre « les grands travaux culturels pour mettre un terme aux inégalités territoriales ».  L’idée est de favoriser l’accès de tous à la culture, aussi bien géographiquement que financièrement, comme cette proposition de baisser les tarifications dans l’offre publique comme privée. « Notre idée est de redonner aux arts et à la culture leur place dans la vie quotidienne, souligne le militant. Cela passe, par exemple, par le développement et la revalorisation de l’éducation artistique et culturelle à l’école. »

La Nupes prévoit de porter le budget consacré à l’art, à la culture et à la création à 1 % du PIB.

L’autre axe de ce programme concerne le régime social des professionnels de ces secteurs. « La crise sanitaire l’a montré : le régime social des intermittents du spectacle est insuffisant, estime Martin Mendiharat. Nos partenaires nous le disent : depuis 2020, ils sont de moins en moins nombreux à être en mesure d’ouvrir leurs droits. » Pour éviter cela, l’union de la gauche prévoit la création d’un centre national des artistes-auteurs qui organisera des élections professionnelles afin de concevoir une nouvelle couverture. « Il ne nous appartient pas de dire à quoi ressemblera ce nouveau régime, ce travail est celui des organisations syndicales. Mais nous souhaitons ouvrir les négociations. »

Lutte contre la pauvreté : une priorité

Dans l’introduction du programme de la Nupes, Jean-Luc Mélenchon souligne l’expansion « des inégalités de fortunes telles que vingt personnes possèdent autant que trois milliards de leurs semblables ». La lutte contre l’injustice fiscale, sociale, le mal-logement et la précarité sont au cœur des 650 mesures de l’alliance de gauche. Parmi elles, certaines propositions se distinguent.

Répondant à l’inflation, une mesure phare du projet législatif de la Nupes : le blocage des prix des produits de première nécessité. Cette proposition, qui vise à redonner du pouvoir d’achat aux Français les plus pauvres, concernerait certains produits alimentaires, de consommation ainsi que l’énergie. « Ce blocage des prix doit s’effectuer en limitant les marges que perçoivent les entreprises concernées », explique Quentin Parrinello, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités à Oxfam France, ONG de lutte contre la pauvreté. Pour le militant associatif, de nombreuses entreprises ont profité de situations de crise pour « spéculer et réaliser d’énormes marges », « les plus importantes depuis des décennies ».

Une mesure phare : le blocage des prix des produits de première nécessité.

Pour mieux soulager le portefeuille des Français, la Nupes propose également de réduire la TVA sur ces produits de première nécessité. Une mesure qui « demande de s’affranchir des traités européens », détaille Quentin Parrinello, mais aussi de s’assurer que les entreprises « n’empochent pas la différence » entre le prix d’origine et celui qui découle d’une réduction de la TVA.

En cas de victoire aux législatives et de cohabitation, la Nupes propose une augmentation du Smic à 1 500 euros net, soit une hausse de près de 200 euros. Une mesure saluée par Quentin Parrinello, qui doit, selon lui, s’accompagner de « négociations par branche afin que cette augmentation soit répercutée sur l’ensemble des bas salaires ».

En parallèle, la Nupes promet de porter au niveau du Smic « toute pension pour une carrière complète », d’instaurer une « garantie dignité » de 1 063 euros « qui ne laisse aucun individu sous le seuil de pauvreté » et d’aligner le minimum vieillesse sur le même montant. « Un tel bouclier autour du seuil de pauvreté serait une véritable avancée », se félicite Quentin Parrinello.

Pour réduire les inégalités, l’alliance de gauche aux législatives souhaite une fiscalité plus progressive. Pour cela, elle propose un barème de 14 tranches d’imposition sur le revenu, au lieu de 5. La contribution sociale généralisée (CSG) doit, elle aussi, devenir « véritablement progressive ». « Pour nous, l’enjeu serait plutôt d’avoir une discussion sur le taux effectif », nuance Quentin Parrinello.

« Il faut comprendre que la mise en place de telles mesures fiscales est nécessaire pour avoir les moyens de financer la lutte contre la précarité », conclut-il. Pour cela, la Nupes propose, entre autres, la suppression de niches fiscales « inutiles », le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune ou encore celui de l’exit tax.

L’alliance de gauche s’engage aussi sur le logement, proposant de doubler les places d’accueil pour les sans-abri et de revaloriser les APL, et sur la protection des travailleurs précaires, promettant d’étendre la présomption de salariat aux travailleurs de plateformes numériques comme Uber ou Deliveroo.

Lutte contre les violences sexistes

« Un milliard pour lutter contre les violences faites aux femmes », promet Jean-Luc Mélenchon, en introduction du programme de la Nupes. L’investissement est réclamé de longue date par des organisations féministes telles que #NousToutes ou la Fondation des femmes. Il doit être alloué à la création de centres d’hébergement d’urgence pour les victimes de violences et à la formation de professionnels à cette problématique. Avec, dans le même temps, la mise en place d’un plan de lutte contre le harcèlement sexiste et les agressions sexuelles.

La Nupes entend aussi mettre fin aux inégalités salariales. Pour ce faire, la coalition souhaite organiser des négociations dans chaque branche pour, à terme, durcir les sanctions à l’encontre des employeurs qui ne respectent pas l’égalité femme-homme et créer des commissions de contrôle.

Les candidat·es de gauche veulent imposer une revalorisation salariale des « métiers occupés majoritairement par des femmes », tels qu’infirmière, aide-soignante ou d’hôtesse de caisse. Une revendication portée par un ensemble de centrales syndicales, dans une tribune publiée dans Le Monde en avril 2020, qui appelaient à une augmentation de salaire pour ces « métiers de femme » en première ligne face à la pandémie.

Pour l’égalité de toutes les femmes, la Nupes veut permettre un changement d’état civil « libre et gratuit ». Une mesure portée par de nombreuses associations, dont SOS Homophobie, et qui doit faciliter la transition des personnes transgenres. L’alliance de gauche souhaite aussi « assurer la gratuité des protections périodiques ».

Enfin, la Nupes soutient l’abolition de la prostitution. Une position qui ne fait consensus ni au sein des principales organisations féministes, ni même au sein de l’alliance. Sur le sujet, Europe Écologie-Les Verts préfère accompagner les travailleuses du sexe et leurs clients plutôt que « réprimer ».

Lutte contre les inégalités scolaires

Lutter contre la ségrégation scolaire, renforcer l’enseignement professionnel et revaloriser les personnels de l’Éducation nationale sont les trois priorités de la Nupes concernant l’école. L’objectif est de taille : « reconstruire une école globale pour l’égalité et l’émancipation ». Pour cela, l’union des gauches, à l’image des programmes de La France insoumise et du PCF lors de l’élection présidentielle, promet d’assurer « la gratuité réelle de l’éducation publique », qui va des cantines aux manuels scolaires en passant par les transports et les activités périscolaires.

Pour « assurer l’égalité devant l’école », le programme évoque la réduction des effectifs par classe, en priorisant les classes préélémentaires, les lycées professionnels et l’éducation prioritaire. « La main sur le cœur, on invoque une “égalité des chances” qui n’existe pas, c’est l’égalité des droits que nous voulons construire, en luttant contre tous les déterminismes », soulignent les responsables éducation des partis de la Nupes dans une tribune publiée dans Le Monde le 31 mai (1).

« Il faut en finir avec une école gare de triage, dont le plus criant symptôme est Parcoursup. »

« Il faut en finir avec une école gare de triage, dont le plus criant symptôme est Parcoursup. […] Avant même de penser l’école de demain, il faut panser l’école d’aujourd’hui », estiment-ils. D’ailleurs, l’union prévoit d’abroger les réformes menées durant le quinquennat de Jean-Michel Blanquer, au lycée général, où les élèves choisissent dorénavant des spécialités, comme au lycée professionnel, où les heures dédiées aux enseignements généraux ont fondu. Pour cela, la Nupes évoque des mesures immédiates, notamment le recrutement de fonctionnaires dès la prochaine rentrée. L’union propose d’adopter « un plan pluriannuel de recrutement pour l’ensemble des concours, avec un dispositif de prérecrutement au métier d’enseignant favorisant l’accès des jeunes de tous les milieux sociaux ». Afin de revaloriser le métier de professeur, il faudrait immédiatement augmenter les salaires et dégeler le point d’indice de la fonction publique. Une revalorisation qui concerne également le personnel non enseignant.

Pour la première fois, un parti place en tête de ses priorités la lutte contre la ségrégation scolaire. Un engagement qui se traduit dans le programme par l’établissement d’une nouvelle carte scolaire qui intégrerait les établissements privés. D’ailleurs, le financement de ces derniers serait proportionnel à leurs engagements en faveur de la mixité sociale. La Nupes prévoit aussi la mise en place d’une nouvelle carte de l’éducation prioritaire et le redéploiement des réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (Rased), qui sont gelés depuis près de cinq ans. « Le séparatisme scolaire, qu’il soit privé ou public, ne semble plus émouvoir : il est pourtant une menace pour notre démocratie », s’indignent les responsables dans leur tribune.

Reconstruire la santé publique

En trois ans, la pandémie de covid-19 a achevé de mettre en lumière les défaillances du système de santé français. Dans son programme, la Nupes met en avant sa volonté de rupture avec les réformes amorcées lors des précédents quinquennats et son souhait de « reconstruire le service public hospitalier ». En cas de victoire aux législatives, l’alliance de gauche promet le remboursement « à 100 % » par la Sécurité sociale de tous les soins de santé prescrits, et « l’intégration des complémentaires santé » dans le dispositif. « Il y a tout à y gagner puisque les frais de gestion des complémentaires santé sont bien plus importants que ceux de la Sécurité sociale », assure Étienne Lengliné, médecin hématologue à l’AP-HP et membre du collectif Notre hôpital c’est vous !

La Nupes prône aussi la sortie du « tout T2A » et « de la politique du chiffre qui met les établissements hospitaliers en situation de conflits d’intérêts avec la Sécurité sociale ». Sous ce sigle : la tarification à l’activité, mode de financement des hôpitaux publics et privés. Instaurée en 2004, la T2A consiste pour les hôpitaux à se faire rembourser chaque hospitalisation en fonction des actes médicaux pratiqués. « Depuis la T2A, les hôpitaux sont devenus des usines à soins. Ils ont tout intérêt à facturer le plus de séjours possible », regrette Étienne Lengliné. Comme la Nupes, le collectif Notre Hôpital C’est Vous ! préconise une redéfinition de ce qui doit relever ou non de ce mode de financement.

« Rouvrir des services d’urgences, des maternités et des Ehpad publics » promet la Nupes, qui souhaite que chacun puisse accéder à des soins en moins de 30 minutes depuis son domicile. Dans le même temps, le programme prévoit un plan pluriannuel de recrutement des professionnels du soin et du médico-social, accompagné d’une revalorisation salariale. « Malheureusement l’attractivité d’un poste n’est pas liée qu’au salaire », note le médecin hématologue, qui regrette des conditions de travail déplorables.

La coalition de gauche veut aussi faire de la santé mentale une « grande cause du quinquennat » en renforçant les moyens des structures dédiées. « C’est primordial car, malgré l’augmentation des besoins, la psychiatrie reste sous-financée », conclut Étienne Lengliné.

(1) « Un projet pour l’école, c’est un projet pour la société ».

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