PMA : les couples lesbiens se heurtent au manque de formation des services d’état-civil

Après l’adoption de la loi bioéthique, les couples lesbiens commencent à accueillir des « bébés PMA » conçus en France. Mais au niveau de l’administration française, les directives ministérielles ne sont pas prises en compte.

Daphné Deschamps  • 3 juin 2022
Partager :
PMA : les couples lesbiens se heurtent au manque de formation des services d’état-civil
© Photo : Des militantes lesbiennes réclament l'accès à la PMA pour toutes à la marche lesbienne du 25/04/2021.Claire Série / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Premières naissances, premiers dysfonctionnements : dès l’adoption de la loi bioéthique en août 2021, et l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes, elles ont été nombreuses à se lancer dans des parcours de PMA. Un an plus tard, les premiers bébés PMA commencent à naître. Et avec les naissances arrivent les complications administratives : les services d’état-civil des mairies ne savent pas comment déclarer ces nourrissons à double maternité, malgré des instructions claires de la part de l’État.

Dès le 21 septembre 2021, une circulaire _« à application immédiate » est envoyée par le ministère de la Justice aux magistrats pour informer au sujet des naissances à venir. Elle décline les cas de figure auxquels les officiers auront à faire face, et fournit même en annexe des exemples d’actes de naissances correctement remplis selon les circonstances.

L’un des points clés de ces déclarations, c’est la Reconnaissance Conjointe Anticipée (RCA), qui permet aux deux mères d’être immédiatement considérées comme maman de l’enfant, sans avoir besoin pour celle qui n’a pas accouché de passer par une procédure de reconnaissance a posteriori, longue et compliquée, avant d’avoir officiellement les mêmes droits de parenté que sa compagne. La RCA, pour être effective, doit être signée avant le début du processus de PMA, et fournie au moment de la déclaration de naissance. Les couples lesbiens qui se lancent dans une PMA font, pour la plupart, très attention à bien respecter toutes les étapes, y compris la RCA.

Pas de blocage homophobe

Mais au bout de ces parcours de PMA, une nouvelle difficulté se présente, qu’elles n’avaient pas anticipée : le manque de formation des employés de mairie. L’association Enfants Arc-En-Ciel, qui accompagne les couples homosexuels dans leurs parcours de parentalité, remonte plusieurs cas de blocage à l’édition des actes de naissance. 

« En deux semaines, on a eu situations de ce type dans toute la France », rapporte Céline Cester, présidente de l’association. « C’est très inquiétant, parce que ce sont les premières naissances, mais qu’on va avoir une vague importante à l’été. » De septembre à décembre, son association a reçu 4.000 demandes d’accompagnement. Elle en reçoit actuellement une dizaine par jour. « Ce ne sont pas des blocages par homophobie, mais par manque de formation, ce qui est encore plus incompréhensible », s’énerve la militante. Elle raconte passer, sur son temps libre, de longues minutes au téléphone avec les services d’état-civil. Et pourtant, elle se retrouve toujours face à un mur. 

« J’ai dû relire mot à mot la circulaire avec la greffière de la mairie d’Ermont, alors que le délai légal pour la déclaration de naissance [cinq jours ouvrés, NLDR] allait être dépassé », déplore-t-elle. « Et comme les mamans n’avaient pas d’acte de naissance, cela leur créait aussi des problèmes avec leurs employeurs, qui leur réclamaient des papiers officiels. » Interrogée au sujet de ce cas, la mairie d’Ermont indique « avoir appliqué la loi sous couvert du procureur de Pontoise ». Si la situation a fini par être réglée, Céline Cester pointe du doigt la méconnaissance de la loi par les services d’état-civil, « dont le suivi de la loi bioéthique est dysfonctionnel ».

À Béziers, l’état-civil « attend la validation du procureur », ce qui peut prendre « deux jours comme un mois » reconnaît l’attaché de presse de la mairie. Sauf que la RCA a justement pour but de ne pas avoir à obtenir une validation du procureur. À Montpellier, l’état-civil a demandé une preuve que la PMA avait bien été réalisée après la promulgation de la loi, soit le 3 août dernier. « Ça en devient absurde, comme si les grossesses pouvaient durer plus de 9 mois ! » tempête Céline Cester.

Son association réclame que le ministère de la Justice recommunique auprès des mairies avant que la majorité des bébés conçus de septembre à décembre ne naissent : « C’est une situation d’urgence, on ne peut pas laisser les femmes se heurter à des services qui n’ont pas pris le temps de faire leur travail. Elles sont désespérées, elles n’osent pas contredire les agents, et ce sont les premiers moments de leur vies de familles qui sont gâchés. »

Société
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !
Santé 21 novembre 2024 abonnés

La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !

Les stéréotypes sexistes, encore profondément ancrés dans la recherche et la pratique médicales, entraînent de mauvaises prises en charge et des retards de diagnostic. Les spécificités féminines sont trop souvent ignorées dans les essais cliniques, et les symptômes douloureux banalisés.
Par Thomas Lefèvre
La Confédération paysanne, au four et au moulin
Syndicat 19 novembre 2024 abonnés

La Confédération paysanne, au four et au moulin

L’appel à la mobilisation nationale du 18 novembre lancé par la FNSEA contre le traité UE/Mercosur laisse l’impression d’une unité syndicale, qui n’est que de façade. La Confédération paysanne tente de tirer son épingle du jeu, par ses positionnements et ses actions.
Par Vanina Delmas
À Toulouse, une véritable « chasse à la pute »
Prostitution 18 novembre 2024 abonnés

À Toulouse, une véritable « chasse à la pute »

Dans la Ville rose, les arrêtés municipaux anti-prostitution ont renforcé la précarité des travailleuses du sexe, qui subissent déjà la crise économique. Elles racontent leur quotidien, soumis à la traque des policiers et aux amendes à répétition.
Par Pauline Migevant
« La généralisation de la contraception n’a pas permis une révolution sexuelle »
Entretien 18 novembre 2024 abonnés

« La généralisation de la contraception n’a pas permis une révolution sexuelle »

Dans son livre Des corps disponibles, la sociologue Cécile Thomé revient sur l’histoire des méthodes contraceptives pour comprendre comment elles façonnent la sexualité hétéro.
Par Salomé Dionisi