Services publics : une priorité reléguée

Les services publics ont besoin de quelques dizaines de milliards d’euros par an : ils n’en bénéficieront pas.

Hélène Tordjman  • 23 juin 2022
Partager :
Services publics : une priorité reléguée
© Alain Pitton / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Les soignants sont de nouveau en lutte pour obtenir des rémunérations et des conditions de travail décentes. Après deux ans de pandémie, qui ont rappelé le rôle central de l’hôpital public dans le système de santé et mis en lumière sa misère structurelle, rien n’a changé pour eux. Si ce n’est en pire. De nombreux lits et services sont obligés de fermer faute de personnel, les médecins et infirmières quittent le service public, les instituts de formation peinent à recruter, et les patients… patientent dans les couloirs pendant des heures. Le Ségur de la santé avait pourtant budgété une enveloppe de 19 milliards d’euros sur dix ans pour le système de santé. Une goutte d’eau dans le budget global de la santé, fourni à hauteur de 236 milliards pour 2022, qui ne permet pas d’augmenter les dépenses en personnel.

De même dans les autres services publics, tous soumis à la même diète depuis des années. Ainsi les magistrats, unis dans une grande protestation, à l’automne dernier, contre leurs conditions de travail dégradées. Les enseignants et les chercheurs manifestent régulièrement pour les mêmes raisons. Et rien n’indique un changement de cap. En effet, sur les 100 milliards du plan de relance post-covid, l’Europe en a fourni 40, à condition que la France réforme son système de retraites, d’assurance-chômage et revienne à une politique d’austérité. Pourtant les sommes en jeu sont relativement faibles, si on les compare aux centaines de milliards qui ont afflué vers les entreprises depuis deux ans. Le Conseil d’orientation des retraites estime par exemple que le déficit du régime des pensions n’est « que » de 10 milliards par an. Au même moment, le « quoi qu’il en coûte » macronien conduisait à débloquer 155 milliards d’euros d’aides aux entreprises en 2020, principalement sous la forme de chômage partiel, d’exonérations de cotisations et d’impôts ainsi que de prêts garantis. Ces sommes se sont ajoutées aux 150 milliards d’aides « habituelles » (exonérations de charges, crédits d’impôts, niches fiscales diverses) (1).

Tous ces milliards ont été distribués sans conditions sociales ni environnementales : les entreprises bénéficiaires, parmi lesquelles Total, Engie, EDF, Air Liquide, etc., continuent de polluer et de licencier, le tout généreusement financé par les contribuables. De plus, cet argent ne ruisselle que dans les poches des actionnaires : le rapport « Allô Bercy ? » montre que toutes les firmes du CAC40 ont reçu des aides et qu’elles ont collectivement distribué, en 2020, 51 milliards d’euros en dividendes et rachats d’actions, soit 140 % de leurs profits. La comparaison des ordres de grandeur entre les aides respectives au public et au privé est éclairante. Les services publics ont besoin de quelques dizaines de milliards d’euros par an : ils n’en bénéficieront pas. A contrario, les grandes firmes sont soutenues à hauteur de plusieurs centaines de milliards, sans aucune condition.

(1) « Allô Bercy ? Pas d’aides publiques aux grandes entreprises sans conditions », Observatoire des multinationales, www.multinationales.org.

Par Hélène Tordjman Maîtresse de conférences à Sorbonne Paris-Nord.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Armes autonomes et robots tueurs : comment l’intelligence artificielle change la guerre
Vidéo 28 mars 2025

Armes autonomes et robots tueurs : comment l’intelligence artificielle change la guerre

Défense, répression, coût écologique, travail… Dans cette série de vidéos, nous disséquons le développement et les conséquences de l’intelligence artificielle sur tous les aspects de nos vies. Retrouvez un nouvel épisode de « IA quoi ? », tous les mois, sur le site et la chaîne YouTube de Politis.
Par Thomas Lefèvre
Comment la guerre par drones redessine les champs de bataille
Analyse 28 mars 2025 abonné·es

Comment la guerre par drones redessine les champs de bataille

Avec l’essor de ces appareils dans les airs, sur mer et sur terre, les stratégies militaires vivent une nouvelle révolution. Entre reconnaissance, frappes kamikazes et intelligence artificielle, c’est une nouvelle course à l’armement qui redéfinit les conflits modernes.
Par Maxime Sirvins
Anduril, la start-up de la guerre qui recrute sur internet
Entreprise 28 mars 2025 abonné·es

Anduril, la start-up de la guerre qui recrute sur internet

Cette jeune pousse américaine, fondée par Palmer Luckey, un prodige pro-Trump de la technologie, mise sur l’esthétique pop et les réseaux sociaux pour promouvoir ses armes autonomes et recruter massivement.
Par Thomas Lefèvre
Au meeting d’Agir Ensemble, « réarmement moral de la nation » et lutte « à la vie, à la mort contre l’islamisme »
Reportage 27 mars 2025 abonné·es

Au meeting d’Agir Ensemble, « réarmement moral de la nation » et lutte « à la vie, à la mort contre l’islamisme »

Au Dôme de Paris, l’association Agir Ensemble, dont le président est aussi à la tête du lobby-pro israélien Elnet, a fait défiler les ministres Bruno Retailleau et Manuel Valls et des personnalités proches du Printemps républicain, dans une atmosphère de préparation à la guerre intérieure. Reportage.
Par Hugo Boursier