« Ventura », de Pedro Costa : Une vie tremblée
Dans Ventura, Pedro Costa met en scène un travailleur immigré vieillissant, dans une atmosphère crépusculaire.
dans l’hebdo N° 1710 Acheter ce numéro
Ventura, de Pedro Costa, est un film de 2014 jamais sorti en France, présenté cette année-là au festival de Locarno, où il a remporté le prix de la mise en scène. En janvier 2022, on a pu voir du même cinéaste Vitalina Varela, tourné, lui, en 2019.
Maître du clair-obscur, Pedro Costa a franchement orienté –Ventura vers le côté sombre. Que ce soit esthétiquement : le personnage, déjà héros d’En avant jeunesse ! (2006), a fréquemment sa silhouette ou son visage en partie mangés par l’ombre. Ou sur le plan du récit, qui oscille entre -présent et passé : Ventura erre dans les quartiers déshérités de Lisbonne (en particulier celui de Fon-tainhas, aujourd’hui détruit), et des no man’s land, comme une usine en ruine où jadis il a été exploité. Il se remémore aussi des épisodes de la révolution des -Œillets, en 1975, qui n’ont rien pour lui d’un moment d’émancipation. Au contraire : travailleur immigré originaire lui aussi du Cap-Vert, il a été considéré comme suspect.
Pedro Costa, à qui une exposition est consacrée au Centre Pompidou à Paris, avec les artistes Rui Chafes et Paulo Nozolino (1), a dévolu son cinéma aux miséreux, aux indésirables, aux exilés. Son film s’ouvre sur des photos de Jacob Riis prises dans les taudis de New York à la fin du XIXe siècle, traçant un continuum avec la représentation qu’il donne des pauvres au Portugal. Mais son cinéma lui-même, tout en étant plastiquement superbe, se détache radicalement de l’industrie cinématographique courante, étant plus proche de la roide humilité des œuvres de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Chez Costa, l’art, qui se fait naturellement avec et aux côtés de ceux qu’il filme (Ventura et Vitalina sont des comédiens non professionnels, qui à l’écran portent leur propre patronyme), s’apparente à l’arte povera. En cela, il n’a pas de prix.
(1) Jusqu’au 22 août. Une carte blanche lui est également consacrée au Jeu de paume, à Paris, jusqu’au 26 juin.