« As Bestas », de Rodrigo Sorogoyen : Pas de chez nous

Rodrigo Sorogoyen met en scène un couple de cultivateurs français installés en Galice en butte à l’hostilité des locaux. Un film rugueux.

Christophe Kantcheff  • 20 juillet 2022 abonnés
« As Bestas », de Rodrigo Sorogoyen : Pas de chez nous
© Lucia Faraig/Le Pacte

Aux premières images, l’impression s’installe d’être en présence d’une terre profondément espagnole : au gré d’une rude chorégraphie, des chevaux sont immobilisés par des aloitadores (des lutteurs à mains nues) afin de pouvoir couper leur crin. Nous utilisons sciemment l’expression « une terre profondément espagnole », mais que pourrait-elle signifier ? Les deux frères Anta semblent le savoir, eux qui ne cessent de reprocher à Antoine (Denis Ménochet), Français installé dans ce coin de Galice, de venir d’ailleurs. De ne pas en être un authentique habitant. Ils sous-entendent qu’il ne peut y jouir des mêmes droits qu’eux.

As Bestas, Rodrigo Sorogoyen, 2 h 17.

Or, quelque temps auparavant, Antoine et sa compagne, Olga (Marina Foïs), qui développent leur exploitation agricole bio et restaurent des maisons abandonnées dans la perspective d’un repeuplement de cette campagne, se sont opposés à un projet d’installation d’éoliennes. On peut s’en étonner, d’autant que leurs motivations restent floues pour le spectateur – l’analyse politique n’est pas le fort du réalisateur, Rodrigo Sorogoyen, plus à l’aise dans le thriller (cf. son précédent film, El Reino, qui racontait une histoire de corruption politique).

Il n’en reste pas moins que les frères Anta, surtout Xan (Luis Zahera) – son cadet, Lorenzo (Diego Anido), étant un peu plus « rustre » –, considèrent que les revenus générés par ces éoliennes auraient profité au village et qu’une part de ceux-ci leur revenait de droit. D’où une confrontation sans merci entre voisins. La violence des frères va crescendo, tandis qu’Antoine se défend, en vue sans doute de déposer plainte, en filmant avec une petite caméra leurs faits et mauvais gestes.

Rodrigo Sorogoyen sait instaurer une atmosphère de tension et de malaise. Il réussit aussi une longue scène d’âpre discussion, ultime chance avant la guerre totale, entre Antoine et Xan – au cours de laquelle le spectateur comprend les motivations et les frustrations de ce dernier, même s’il désapprouve ses méthodes. Ce qui ne condamne pas totalement ce personnage, un point à mettre au crédit du cinéaste.

Tout comme la seconde partie d’As Bestas, dont il ne peut être question en détail ici sans qu’un nœud important de l’intrigue soit dévoilé. Disons seulement que l’action, alors, repart presque de zéro, avec un nouvel élément : la venue de la fille du couple (Marie Colomb), vivant en France. Un pari, qui déporte le centre du film sur les personnages féminins. De la testostérone en moins et davantage de complexité dans les rapports affectifs. Inattendu et bienvenu.

Cinéma
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