Fronde dans les écoles d’ingénieurs

Les diplômés dénoncent des cursus obsolètes, voire complices des crises actuelles.

Patrick Piro  • 20 juillet 2022 abonnés
Fronde dans les écoles d’ingénieurs
Le nombre d’avions en circulation comptabilisé par le site Flightradar24 a dépassé, en juillet 2022, le précédent record de 2019, avec plus de 230 000 vols en une journée.
© flightradar24

C’est une vidéo cash, qui approche le million de vues sur YouTube. Le 10 mai, lors de la séance de remise de leur diplôme, huit jeunes ingénieur·es d’AgroParisTech dégomment à boulets rouges, pendant sept minutes, le cursus qui les a préparé·es à des carrières en production agricole et forestière, en biotechnologie et en gestion de l’environnement. Soit à exercer des jobs où ils trafiqueront des plantes pour des multinationales qui asservissent toujours plus les agricultrices et les agriculteurs, concevront des plats préparés et des chimiothérapies pour soigner ensuite les maladies causées, développeront des énergies dites « vertes » qui permettent d’accélérer la numérisation de la société tout en polluant et en exploitant à l’autre bout du monde… « Les choisir, c’est nuire en servant les intérêts de quelques-uns », martèlent ces diplômé·es.

Deux jours plus tard, la direction d’AgroParisTech publiait un communiqué faussement distant, avec la volonté de relativiser une charge sans pitié. « Nous ne sommes pas surpris par la diversité des points de vue exprimés au cours d’une cérémonie qui a duré trois heures, car ils traduisent l’ampleur des controverses engendrées par les thématiques qu’enseigne AgroParisTech. »

Certes, les écoles d’ingénieur·es sont les moins mal placées dans l’enquête de 2019 du Shift Project : sur le panel retenu, la moitié des enseignements présentent des cours sur les enjeux climatiques et énergétiques, obligatoires (pour 26 % des cursus) ou facultatifs (pour 20 %). Mais ce minimum reste bien insuffisant aux yeux des critiques, qui n’y voient pas matière à atténuer les enthousiasmes « techno » dont ces établissements supérieurs sont friands. Fin juin dernier, au sortir de leur formation, des élèves de l’École polytechnique y vont à leur tour d’une vidéo interpellant l’esprit « X » : « Il est urgent de sortir des rails sur lesquels nous installent insidieusement notre diplôme et notre réseau. » (Lire aussi pages 8-10.)

Dans le domaine de l’ingénierie aérospatiale, durement affectée par la dégringolade du secteur aérien pendant la crise du covid, la critique de l’enseignement n’est pas loin du coup de blues. Alors que les écoles misent mordicus sur l’avion « du futur », engin bourré de technologies « innovantes » et « de rupture », plus de 700 de leurs élèves interpellaient le secteur dans une tribune publiée en mai 2020 dans le quotidien Le Monde : « La transition écologique impose une profonde transformation de notre industrie. » Pour les signataires, dont une moitié émargeaient à la prestigieuse Isae-Supaéro de Toulouse, le progrès technique n’y suffira pas, il faut sérieusement réduire le trafic aérien. Une pensée « décroissante », qui envisage la reconversion pure et simple de tout le secteur aéronautique. Parfaitement hors cursus.

Société
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