Le maillot de bain, une question de peau
Au fil des époques, le costume de bain féminin n’a cessé de raconter l’histoire du patriarcat et de l’émancipation.
dans l’hebdo N° 1715-1719 Acheter ce numéro
Après avoir lu ce livre, vous ne regarderez plus votre maillot de bain de la même façon en le glissant dans votre valise. « L’histoire du maillot de bain est celle de la peau rendue publique, du dévoilement du corps moderne. C’est l’histoire de la façon dont la chair et le tissu se sont unis pour servir le sport, le sexe et la culture », écrit Audrey Millet, docteure en histoire et chercheuse à l’université d’Oslo, dans un brillant essai. Mais c’est aussi l’histoire du patriarcat et du capitalisme. Sans oublier « une histoire des peurs masculines, de la frustration, et un emblème de la féminité ». Un petit bout de tissu d’apparence si futile peut-il porter un tel héritage maillé de luttes politiques, religieuses, féministes ?
Avant de détricoter le maillot de bain à travers les époques, l’autrice revient en profondeur sur la relation des hommes et des femmes, car « la baignade est indicatrice d’une ségrégation genrée ». Elle raconte comment l’eau, liée à la femme, avait souvent une connotation menaçante dans les mythes antiques ou à l’époque des monothéismes du Moyen-Âge. Le premier tournant a lieu au XVIIIe siècle grâce à la médecine, qui préconise la baignade comme remède thérapeutique. Se pose obligatoirement la question des vêtements de bain… d’abord pour cacher l’« indécence » des femmes.
Le deuxième tournant est dû aux mouvements féministes qui secouent le XIXe siècle et consacrent l’émancipation des corps, des vêtements, des loisirs. Par des descriptions détaillées et quelques croquis, Audrey Millet, ancienne styliste, montre l’évolution des formes et des tissus au regard des modes, mais aussi des soubresauts du marché et du consumérisme : la longue chemise de lin avec du plomb enveloppé dans l’ourlet, le pantalon de bain, puis la disparition du corset, le rétrécissement des vêtements de bain jusqu’aux fameux bikinis et monokinis…
Mais la police du regard, l’extrême pudeur et la misogynie résistent bien. Petite histoire révélatrice et amusante : au début du XXe siècle, l’actrice Annette Kellerman était aussi connue pour être une nageuse hors pair et enchaîner les exploits. Afin d’améliorer ses performances, cette « naïade des temps modernes » a revêtu une combinaison collant davantage à la peau et dévoilant bras et jambes. En 1907, elle est arrêtée à Boston pour « indécence », mais son procès fera jurisprudence puisque le juge statue en faveur de l’argument sportif. Le maillot de bain une pièce et la natation pour les femmes deviennent très populaires.
Audrey Millet ne passe pas sous silence les questionnements plus récents, que ce soit l’hypersexualisation des corps féminins via les réseaux sociaux, ou bien les impacts sur la santé et l’environnement du soleil et des textiles de bain constitués de fibres synthétiques. Avec sa rigueur d’historienne, elle revient également sur le burkini et rappelle qu’il n’est aucunement présent dans le Coran, mais a été créé en 2006 par une styliste australienne d’origine libanaise pour les nageuses musulmanes afin d’apaiser les tensions sur certaines plages d’Australie. « Le maillot donne des informations corporelles immédiates. Il ne transforme pas la nature. Il montre que la perfection n’existe pas », glisse l’autrice. Car, de toute façon, le maillot de bain sera toujours trop voyant, pas assez couvrant, trop échancré, pas assez assumé… Même si le backlash [retour de bâton] n’est jamais loin, aucun doute que cette histoire continuera de s’écrire à l’aune de la nouvelle vague féministe, qui revendique plus que jamais une réappropriation de son corps, de tous les corps.
Les Dessous du maillot de bain. Une autre histoire du corps Audrey Millet, Les Pérégrines, 280 pages, 20 euros