Remaniement : Macron reste borné

Après quinze jours de flottement, l’Élysée a dévoilé son « gouvernement d’action ». Sa composition ne traduit en rien une réponse au désir de changement qui s’est exprimé aux législatives.

Michel Soudais  • 5 juillet 2022
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Remaniement : Macron reste borné
© Photo : Christophe PETIT TESSON / POOL / AFP

On ne change pas une méthode qui conduit à la défaite. Emmanuel Macron étoffe son gouvernement sans vraiment l’ouvrir. Ni tenir compte de la claque des élections législatives dans lesquelles ses candidats n’ont obtenu qu’une majorité relative. Fragilisée par ce résultat électoral, Élisabeth Borne est tout de même confirmée à Matignon. Les trois ministres battues quittent le gouvernement, ainsi que Damien Abad, accusé de viol et de tentative de viol par quatre femmes, tandis qu’une vingtaine de personnalités y entrent.

Si le gouvernement « Borne I », nommé le 20 mai, comptait 27 ministres et secrétaires d’État, le gouvernement « Borne II », dont la composition a été annoncée par un simple communiqué de l’Élysée en fin de matinée, est pléthorique : ils ne sont pas moins de 41 à se partager les portefeuilles.

Si la parité est globalement respectée avec 21 hommes et 21 femmes (en comptant la cheffe du gouvernement), secrétaire reste un métier féminin : on compte 11 hommes pour 5 femmes ministres (6 en comptant Élisabeth Borne), 9 hommes ministres délégués pour 6 femmes et 9 femmes secrétaires d’État pour… 1 homme.

Treize ministres sont reconduits.

À commencer par Bruno Le Maire, premier dans l’ordre protocolaire, en charge de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qui continuera à superviser quatre ministres délégués : Gabriel Attal (Comptes publics), Roland Lescure (Industrie), Jean-Noël Barrot (Transition numérique et Télécommunications) – deux nouveaux venus –, et Olivia Grégoire, éphémère porte-parole du gouvernement, qui revient à Bercy s’occuper des Petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.

Sont également reconduits dans leurs attributions : Catherine Colonna (Europe et affaires étrangères), Éric Dupond-Moretti (garde des Sceaux, Justice), Sébastien Lecornu (Armées), Olivier Dussopt (Travail, plein emploi et insertion), Pap Ndiaye (Éducation nationale et jeunesse), Sylvie Retailleau (Enseignement supérieur et recherche), Marc Fesneau (Agriculture et souveraineté alimentaire), Agnès Pannier-Runacher (Transition énergétique), Rima Abdul-Malak (Culture), Stanislas Guérini (Transformation et fonction publiques), Amélie Oudéa-Castéra (Sports, Jeux olympiques et paralympiques).

Punition pour l’outre-mer

Reconduit aussi au deuxième rang des ministres, Gérald Darmanin (Intérieur) voit ses attributions étendues puisque son ministère a désormais en charge les Outre-mer. La ministre en charge de ce dossier depuis le 20 mai, Yaël Braun-Pivet, ayant décidé de quitter le gouvernement pour la présidence de l’Assemblée nationale, c’est un préfet, Jean-François Carenco, qui récupère le portefeuille avec un simple rang de ministre délégué auprès de Darmanin.

Des élus ultramarins toutes étiquettes confondues ont dénoncé immédiatement cette mise sous tutelle, une première depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, dénonçant un « mauvais signal », une « punition électorale », un « mépris »… Ces élus reprochent un amalgame entre la question sécuritaire et la gestion du quotidien des deux millions de Français vivant hors métropole.

L’écologie mal servie

Parmi les trois nouveaux ministres, Christophe Béchu, secrétaire général d’Horizons, le parti d’Édouard Philippe, bénéficie de la plus grosse promotion. Ministre délégué chargé des Collectivités territoriales dans le gouvernement « Borne I », il remplace Amélie de Montchalin à la tête du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, et y supervisera trois ministres délégués (dont un partagé avec l’Intérieur) et deux secrétaires d’État. Mais cette nomination du toujours maire d’Angers et président de sa métropole interroge sur la volonté d’Emmanuel Macron de prendre à bras le corps les dossiers de la transition écologique.

Dans un communiqué, Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, note que c’est le « sixième ministre en charge de l’écologie en cinq ans » et que « le choix de Christophe Béchu est symptomatique de l’absence de vision du gouvernement sur les enjeux environnementaux ». « Nommer à un poste si important un responsable politique sans expérience sur les enjeux de transition écologique, et qui n’a quasiment jamais pris position sur les questions nationales ou internationales de climat ou d’environnement, démontre à la fois un réel manque d’ambition et l’incapacité du gouvernement à nommer une personnalité reconnue pour ses compétences sur les enjeux écologiques. »

Son profil est également contesté par Claire Schweitzer, conseillère municipale (France insoumise) d’Angers qui liste en quelques tweets des décisions peu écolos de Christophe Béchu dans sa gestion locale : « Bétonisation de zones humides à outrance, abattage massif d’arbres, construction de parkings en centre-ville. » « Sa passion c’est le béton », résume-t-elle.

Deux novices à la Santé et à la Solidarité

Les deux autres nouveaux ministres viennent de la société civile. L’urgentiste François Braun président de Samu-Urgences de France et chef du pôle urgences au CHR de Metz-Thionville (Moselle) devient ministre de la Santé et de la Prévention en remplacement de Brigitte Bourguignon, battue aux législatives. Sa nomination a aussitôt été dénoncé comme « une véritable provocation » par l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf).

En cause, les 41 préconisations qu’il a faites le 30 juin à l’issue d’une mission flash sur la crise des urgences dont l’avait chargé Emmanuel Macron, des préconisations retenues le lendemain par Élisabeth Borne. Il propose, entre autres, de « réguler les admissions », soit avec un « triage paramédical à l’entrée » des urgences, soit par une « régulation médicale préalable systématique » par le standard téléphonique du Samu, et suggère d’en limiter l’accès aux seules « urgence vitales », en particulier la nuit. Pour l’Amuf ce serait « la fin du service public ouvert 24 heures sur 24 […] avec comme conséquence des morts évitables ».

En comparaison, la nomination de Jean-Christophe Combe, directeur général de la Croix rouge, comme ministre des Solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, en remplacement de Damien Abad, n’a pas suscité de réactions.

Un dosage politique marqué à droite

Faute d’être parvenu à constituer avec certains groupes de l’Assemblée « une coalition », comme il en avait émis le souhait, Emmanuel Macron a intégré dans sa nouvelle équipe des représentants des différentes forces politiques qui constituent sa majorité présidentielle selon un subtil dosage.

Quatre ministres représentent désormais le MoDem au lieu d’un seul, Marc Fesneau, qui reste à l’Agriculture. Le député des Yvelines Jean-Noël Barrot devient ministre délégué chargé du Numérique, l’ex-ministre déléguée aux Anciens combattants Geneviève Darrieussecq est chargée des personnes handicapées et Sarah El Haïry reprend le secrétariat d’État à la Jeunesse et au Service national universel.

Le mouvement Horizons compte désormais deux représentants au lieu d’un : la députée, Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé, rejoignant Christophe Béchu à la table du conseil des ministres.

Olivier Becht, pilier du parti de centre droit Agir, devient auprès de Catherine Colonna ministre délégué chargé du Commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Un portefeuille détenu depuis deux ans par son camarade de parti, Franck Riester qui récupère les Relations avec le parlement, poste occupé depuis le 20 mai par Olivier Véran qui devient porte-parole du gouvernement. Même le Parti radical n’est pas oublié : députée de Haute-Garonne, Dominique Faure devient secrétaire d’État à la ruralité.

Les nouveaux venus en provenance du flanc gauche de la macronie, se limitent au maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Olivier Klein, passé par le PCF et le PS, nommé ministre délégué à la Ville et au Logement ; secrétaire d’État à l’Europe, Laurence Boone qui a conseillé François Hollande un peu moins de deux ans à l’Élysée ne peut relever de cette catégorie. Ses passages chez Axa et au sein de la banque Merryll Lynch n’ont pas été oubliés.

À l’inverse avec l’ex-fillioniste Caroline Cayeux (ministre délégué chargé des Collectivités territoriale), c’est une ex-opposante de plus au mariage pour tous qui entre au gouvernement.

Le gouvernement se passera de la confiance

Le 22 juin dans une allocution télévisée, Emmanuel Macron s’était dit « décidé à prendre en charge la volonté de changement que le pays a clairement exprimé ». Les seuls changements perceptibles dans la composition du gouvernement « Borne II » s’inscrivent dans la continuité du premier quinquennat. Le discours de politique générale que la Première ministre s’apprête à tenir mercredi à l’Assemblée ne manquera pas de le confirmer sur le fond cette fois.

L’exécutif a déjà fait savoir qu’elle ne demanderait pas un vote de confiance. Faute de majorité absolue, un tel scrutin serait risqué. D’autant que les suppléants des nombreux députés nommés ministres ne pourront accéder au Palais Bourbon qu’après un délai d’un mois, ce qui affaiblit d’une vingtaine de voix la majorité déjà bien relative dont dispose la Première ministre.

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