Sauver les fonds marins, pour notre survie
Lors du sommet de l’ONU consacré aux océans à Lisbonne, trois parlementaires, dont Marie Toussaint, ont lancé une « déclaration parlementaire mondiale pour un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins ».
dans l’hebdo N° 1714 Acheter ce numéro
L’orage menace la vie maritime. Le capitalisme cherche une fois de plus à étendre les frontières de l’action humaine à des espaces encore presque préservés de la bêtise de l’extractivisme : l’exploitation minière des fonds marins, y compris en haute mer.
Que se passe-t-il ? Les grandes sociétés minières ont dans leur viseur l’exploitation des fonds marins depuis déjà plusieurs dizaines d’années. Le Pérou s’y est essayé un temps, avant de refermer bien vite la porte d’une activité dévastatrice pour l’océan. Cette fois, cela pourrait bien être différent. Il y a deux ans, la république de Nauru (État insulaire du Pacifique) a « sponsorisé » la demande d’exploration pour exploitation minière déposée par la société canadienne DeepGreen dans la zone de Clarion-Clipperton, très riche en métaux. Le 25 juin 2021, Nauru a déclenché la « règle des deux ans », période à l’issue de laquelle le permis est réputé valide, selon les procédures en vigueur surveillées par la très opaque Autorité internationale des fonds marins.
Il ne nous reste donc qu’une seule petite année pour éviter que ne se lance la course à l’exploitation des fonds marins et de la haute mer. Un an pour empêcher le pire : la destruction des fonds et de la très riche biodiversité qu’ils abritent (les scientifiques estiment qu’encore un million d’espèces sont à découvrir dans les océans), la libération des millions de tonnes de CO2 qu’absorbent continuellement les océans. Sans oublier la création d’une énième injustice faisant peser sur les plus pauvres – les États du Pacifique et leurs habitant·es – les coûts humains et environnementaux d’une activité qui bénéficiera d’abord aux plus riches : les entreprises des pays occidentaux.
Car DeepGreen et Nauru ne sont pas les seuls sur la ligne de départ. Des entreprises occidentales ainsi que des institutions publiques comme l’Ifremer (associé toutefois au géant norvégien des énergies fossiles Equinor) ont déjà obtenu une bonne trentaine de permis d’exploration des fonds. Une poignée de firmes occidentales (DeepGreen, un fabricant d’armes états-unien et une entreprise belge) détiennent la plupart de ces permis dans des eaux situées au cœur du Pacifique.
Les entités favorables à l’extraction minière dans les fonds marins prétendent que les métaux qui s’y trouvent (manganèse, cobalt, cuivre ou nickel) sont nécessaires à la transition énergétique. C’est tout l’inverse : elle pourrait en réalité sonner le glas de toute velléité de protéger notre seule et unique planète et de contenir le dépassement des limites planétaires.
Samoa, Palau et les Fidji ont lancé depuis la conférence des Nations unies sur les océans qui s’est tenue à Lisbonne du 27 juin au 1er juillet une alliance des États opposés à ce qui représente une menace directe sur leurs eaux et leurs populations. Ces États se veulent gardiens de la nature, ils nous parlent de bon voisinage ou de l’héritage légué par leurs ancêtres. Allons-nous leur opposer notre avidité ?
C’est pour que la réponse à cette question soit un non ferme et inébranlable que des membres de la société civile et des parlementaires du monde entier se sont associés pour faire de la question de l’exploitation minière en eaux profondes un sujet politique majeur. Notre appel est clair : un moratoire sur l’exploitation minière via une décision de la communauté internationale pour la haute mer et l’adoption de lois nationales pour les eaux territoriales (1).
Emmanuel Macron avait refusé de s’engager contre cette activité destructrice lors du sommet de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) de Marseille en septembre 2021, et le Premier ministre Jean Castex avait sorti une circulaire et une stratégie visant à l’exploration pour exploitation minière des fonds marins. Depuis, le Président français nous a manifestement entendus puisqu’il a appelé, depuis Lisbonne, à l’élaboration d’un cadre légal pour mettre un coup d’arrêt à l’exploitation minière en eaux profondes et prévenir toute nouvelle activité économique mettant en danger les océans. Mais restons vigilants, tant il nous a habitués aux effets de manche…
Les lois de l’économie ne sont pas au-dessus des lois de la nature. Chaque coup porté aux écosystèmes et à la biosphère est en réalité un nouveau coup porté contre nous-mêmes. Si le président est sincère, alors il doit élaborer immédiatement une loi interdisant l’exploitation minière dans les eaux territoriales françaises (seconde zone exclusive mondiale) ainsi que rejoindre au plus vite l’alliance des États lancée à Lisbonne. Nous ne pouvons plus nous contenter de mots : notre avenir à tou·tes en dépend.
Par Marie Toussaint Eurodéputée EELV, cofondatrice de Notre affaire à tous.
(1) « Déclaration parlementaire mondiale pour un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins », www.pgaction.org.
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