La Nupes oblige la gauche à muer

L’accord noué entre les forces de gauche et les écologistes, effectif au sommet depuis l’élection de 151 députés, doit encore s’enraciner localement, obligeant chacun à repenser ses pratiques.

Michel Soudais  • 31 août 2022 abonnés
La Nupes oblige la gauche à muer
L’université d’été de LFI, à Châteauneuf-sur-Isère.
© Photo : Michel Soudais.

Pérenniser la Nupes pour La France insoumise (LFI), c’est LA tâche prioritaire. Ses dirigeants n’ont cessé de le marteler auprès des quelque 5 000 militants et sympathisants venus participer du 25 au 28 août aux Amfis – l’appellation de son université d’été – à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme). Même en l’absence d’université d’été commune à toutes les composantes de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, cette question s’est aussi posée à Blois, où le Parti socialiste (PS) réunissait la sienne, à Grenoble aux Journées d’été des écologistes, à Strasbourg, ville choisie cette année par le Parti communiste (PCF).

C’est ce qu’a assuré le socialiste Laurent Baumel devant un auditoire d’insoumis. Avant de certifier que son parti, à la direction nationale duquel il appartient, était « favorable à la consolidation, mais aussi au développement de la Nupes ». Une déclaration d’intention récurrente dans la bouche des partenaires de la Nupes invités à intervenir dans les débats des Amfis.

Il y a, dans cet engagement à conforter la Nupes, l’expression d’une responsabilité dont les leaders de chaque formation ont conscience : se diviser laisserait le champ libre aux libéraux et à l’extrême droite alors même que l’absence de majorité absolue pro-Macron place les députés sous la menace d’une dissolution de l’Assemblée nationale que déciderait, seul, le président de la République.

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Si certains, à l’instar de Fabien Roussel, le vibrionnant numéro un du PCF, voyait la Nupes comme un simple « accord électoral » dont ils pourraient s’affranchir l’élection passée, l’espoir suscité dans l’électorat de gauche et la configuration politique issue des législatives pousse plutôt au maintien de la coalition scellée par un accord que LFI a voulu programmatique.

Dans la session parlementaire extraordinaire, les députés des groupes LFI, PS, écolos et communistes n’en ont pas dévié, jouant sur des registres différents et complémentaires la même partition. Pour les socialistes, a indiqué Laurent Baumel lors d’une table ronde, la Nupes « n’est pas seulement un accord électoral passé à l’arrache pour faire face aux conséquences du scrutin majoritaire, c’est un cadre stratégique de beaucoup plus long terme pour préparer une alternative au pouvoir actuel ».

Un parlement pour gagner la bataille culturelle

La Nupes possède déjà, selon le mot de la députée Sophie Taillé-Polian, coordinatrice de Génération·s, des « outils pour travailler dans la durée » qui ont d’entrée « séduit » son mouvement, membre du Pôle écologiste : un intergroupe à l’Assemblée nationale, qui s’est assigné pour tâche en cette rentrée de présenter ses contre-budgets aux lois de finances et de financement de la Sécurité sociale ; une coordination des partis, qui se réunit toutes les semaines, mais également un « parlement ».

Constitué formellement le 30 mai – il n’a pas pu se réunir depuis –, et présidé par Aurélie Trouvé, désormais députée LFI, il est composé de membres des différentes forces politiques de la Nupes et de nombreuses figures du monde syndical, associatif, scientifique et culturel. Il devrait progressivement compter 500 membres, avec pour objectif de créer une culture politique commune qui permette de gagner la bataille culturelle.

Pour autant, cet ovni politique est « à la fois puissant et fragile », confie Jean-Luc Mélenchon. « Quand vous formez un ménage, c’est dur pour les deux, ajoute-t-il. Il faut tous qu’on trouve nos marques. » À Blois, Olivier Faure ne dit pas autre chose quand il déclare qu’« on ne passe pas de frères ennemis à frères de sang l’espace d’une nuit ».

Pour y remédier, les uns et les autres misent beaucoup sur le Parlement de la Nupes« lieu d’interface et de lien avec la société civile », selon le mot d’Aurélie Trouvé, pour débattre des enjeux stratégiques et idéologiques, éclairer la décision et mener des campagnes communes dans la société. À charge pour ses membres d’organiser leur travail.

Déclinaisons locales, enjeu vital

« Tout reste à construire », a estimé Laurence de Cock (par ailleurs chroniqueuse à Politis) lors d’une table ronde des Amfis consacrée à l’avenir de ce parlement. Il « ne doit surtout pas devenir un cercle d’initiés », avertit l’historienne de l’éducation qui, comme bon nombre de personnalités non encartées, n’a accepté d’en être membre qu’une fois la Nupes créée.

« Il faut que l’on soit un lieu d’expérimentation pour voir comment au sein de la Nupes on peut atteindre le consensus dans le pluralisme et montrer la faisabilité de cette alliance. » « Avoir une forte connexion avec la société civile permet d’éviter que les identités militantes empêchent le dialogue », plaide Laurent Baumel.

Plusieurs intervenants, à la tribune et dans la salle, interrogent la composition et le renouvellement de ce Parlement. « Il nous faudra imaginer sa gouvernance et mobiliser des moyens pour le faire vivre car on n’anime pas une telle instance uniquement avec des bénévoles », prévient Charles Fournier, député EELV d’Indre-et-Loire.

Faut-il le décliner localement ? Certains le souhaitent et sont parfois passés à l’acte, comme dans la circonscription de Nanterre-Suresnes. D’autres, dont Aurélie Trouvé ou la communiste Elsa Faucillon, plaident pour des assemblées citoyennes de circonscription, jugées plus inclusives.

« La Nupes, ce n’est pas seulement à l’Assemblée et des partis qui se réunissent . »

À plusieurs reprises durant les Amfis, consigne a été donnée aux militants et sympathisants présents de « maintenir la Nupes vivante au niveau local » en créant dans chaque circonscription des assemblées « citoyennes » ou « populaires ». Pour mobiliser et continuer à rassembler. « La Nupes, ce n’est pas seulement à l’Assemblée et des partis qui se réunissent », a lancé Manuel Bompard.

« Ce n’est pas l’union de la gauche, ce sont des militants qui, ensemble, constituent la Nupes », renchérit Francis Parny, figure des « communistes insoumis », auprès de Politis« Les assemblées de circonscription, c’est l’avenir. » « Mêler des traditions et des expériences pour créer une culture commune », c’est aussi l’idée de Laurent Baumel, pour qui cette structuration locale « reposera sur des initiatives locales », la Nupes n’étant pas un parti mais un mouvement. « C’est plus facile quand on a un ou une députée », bougonne un militant des Bouches-du-Rhône qui déplore que « les élus socialistes et communistes ne mettent pas trop la main à la pâte pour agir localement ».

Clémentine Autain et Olivier Faure sur la scène de l’université d’été du PS à Blois. (Photo : GUILLAUME SOUVANT/AFP)

Dans la 10e circonscription de Seine-et-Marne, ce sont les élus PS qui sont aux abonnés absents dans les communes qu’ils dirigent, LFI y siégeant dans l’opposition, note son député, Maxime Laisney. Pour dépasser les antagonismes passés, Émilie Marche, élue iséroise (LFI) à la région Auvergne-Rhône-Alpes, suggère de mener des actions communes pour « réapprendre à travailler ensemble ».

« La pérennisation de la Nupes viendra des liens que l’on aura tissés au niveau local. »

Et pourquoi pas « unir les élus sur des batailles comme la baisse des dotations », le gouvernement voulant économiser 10 milliards au moins. Et même si cela prend du temps, « la pérennisation de la Nupes viendra des liens que l’on aura tissés au niveau local », estime Julie Garnier, conseillère régionale LFI de Seine-et-Marne.

Nombreux sont ceux qui reconnaissent, à l’instar de Léa Balage El Mariky, secrétaire nationale adjointe d’EELV, que « la Nupes est venue comme une évidence chambouler nos pratiques politiques ». Son existence et sa consolidation obligent chaque formation à se repenser. À Grenoble, en prévision de leur congrès prévu fin novembre, les écolos ont commencé à défricher les pistes d’une énième « refondation » de leur parti, à l’issue incertaine.

PS, PC : les grandes manœuvres

À Blois, le mot d’ordre du campus du parti à la rose annonçait voler « vers un nouveau Parti socialiste ». Refonder le PS dans un cadre unitaire, telle est la ligne qu’Olivier Faure s’apprête à défendre en congrès début 2023. Le Premier secrétaire devra trouver une majorité entre trois nuances de socialistes – la Nupes : oui ; la Nupes, mais pas comme ça ; l’alliance oui, mais la Nupes non –, ceux qui critiquaient l’accord conclu avec LFI n’ayant pas totalement désarmé malgré l’échec des candidatures socialistes dissidentes aux législatives.

Le PCF a prévu, lui aussi, de tenir son congrès, plusieurs fois repoussé, du 7 au 9 avril. Selon son secrétaire national, celui-ci doit « mettre à jour notre stratégie, nos statuts, nos objectifs dans la nouvelle situation politique et les moyens pour les atteindre ».

Fabien Roussel n’envisage pas pour autant de se départir de la ligne d’affirmation identitaire qui l’avait porté à la tête du parti en 2018. Tirant devant ses troupes réunies à Strasbourg un « bilan très positif » de sa candidature à la présidentielle (2,28 %), le député du Nord renâcle toujours à un rapprochement trop marqué des partis qui la composent. Quitte à agiter le chiffon rouge d’une Nupes fantasmatique : « Nous ne serons pas plus forts en effaçant notre diversité dans une fédération, un parti unique ou encore en tentant de chapeauter le mouvement social », a-t-il ainsi lancé.

« La Nupes n’est pas un parti unique parce que nous ne voulons pas être réduits au plus petit dénominateur commun », a répliqué le lendemain Jean-Luc Mélenchon en insistant sur le fait qu’il était pour « l’émulation plutôt que la compétition » entre les forces de l’union de la gauche, dès lors que sa ligne de rupture est partagée par tous.

Anticipant sur les surenchères identitaires et les polémiques que ces trois congrès ne manqueront pas de susciter, le leader de LFI a prévenu dans des prises de parole à huis clos qu’il ne faudrait contribuer en rien à une montée des tensions.

LFI entend être fer de lance

Plus que jamais, LFI entend « être le fer de lance du renforcement et de l’élargissement de la Nupes » en raison de son effectif et du score de son candidat à la présidentielle, déclare dans un entretien à Regards Manuel Bompard, qui réfute toute volonté d’hégémonie. Pour l’ancien directeur de campagne des insoumis, il est nécessaire de « transformer la force collective qui s’est mise en mouvement autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon en une force politique organisée capable de mener la bataille idéologique, de soutenir les mobilisations de la société, de favoriser les dynamiques d’auto-organisation populaire et de former les générations militantes de demain ».

Cela ne peut se faire sans des évolutions de LFI. Clémentine Autain en a pointé quelques-unes dans une note de blog touchant à la stabilisation des équipes militantes, à l’ancrage territorial et aux instances de direction du mouvement, à la mise en œuvre d’une formation interne structurée, ainsi qu’aux moyens financiers des groupes locaux. Des questions souvent évoquées dans les allées des Amfis. Elle « a raison, a coupé un Jean-Luc Mélenchon pressé par les journalistes de réagir. Je suis d’accord avec le fait qu’il faut faire évoluer toutes sortes de choses ». Des décisions sont attendues pour l’automne.