Lucas Belvaux, plume de chasse

Le cinéaste publie un premier roman, Les Tourmentés, qui témoigne d’un grand appétit de fiction et d’un talent littéraire évident.

Christophe Kantcheff  • 24 août 2022 abonnés
Lucas Belvaux, plume de chasse
© Photo : Gilles Pensart

Lucas Belvaux cinéaste aime le romanesque. Ce que n’atteste pas seulement le fait qu’il a adapté des œuvres littéraires à l’écran, comme son dernier film en date, Des hommes, tiré du roman éponyme de Laurent Mauvignier. Ses films en sont marqués, en particulier la trilogie qu’il a réalisée en 2003, Un couple épatant, Cavale et Après la vie, qui racontait la même histoire du point de vue de trois personnages. En outre, qui l’a approché sait que l’homme est grand lecteur. Il n’est donc pas étonnant de retrouver aujourd’hui Lucas Belvaux dans la peau du romancier.

Les Tourmentés, Lucas Belvaux, Alma éditeur, 345 pages, 20 euros.

Il publie Les Tourmentés, qui témoigne que son appétit de fiction est toujours grand. À la base de l’intrigue : trois personnages. Skender, un ancien légionnaire ayant sombré dans la clochardisation, perclus de honte au point de ne pouvoir renouer avec sa femme et ses deux fils ; Max, lui aussi ex-légionnaire, qui a tout appris à Skender quand celui-ci arrivait de sa Yougoslavie natale, deux amis inconditionnels, « nous n’étions qu’un, jadis » ; et enfin Madame, une veuve encore jeune, solitaire jusqu’à la misanthropie, passionnée d’armes à feu, immensément riche, pour laquelle Max est tout autant un garde du corps, un majordome qu’un secrétaire particulier.

Chasse à l’homme 

Sachant son ami dans une mauvaise passe, Max présente Skender à Madame, qui lui propose un marché peu banal : contre une somme d’argent importante – 3 millions d’euros – il lui faudra survivre pendant un mois dans un âpre coin de forêt en Roumanie alors qu’elle sera à ses trousses, en compagnie de ses deux chiens, pour le tuer. Une chasse à l’homme, donc, programmée six mois plus tard.

Les trois personnages sont tour à tour les narrateurs de cette histoire (ce qui n’est pas sans rappeler, précisément, la trilogie). Mais, comme noté plus haut, ils en forment la « base ». Le roman va en effet s’ouvrir. Ce à quoi le lecteur ne s’attendait pas a priori, alors que Skender et Madame, chacun de son côté, semblent s’engager dans une préparation physique à outrance.

C’est l’une des grandes qualités des Tourmentés : son mouvement général qui va en s’élargissant à d’autres situations et d’autres personnages, en particulier la femme de Skender, qui devient elle aussi narratrice, de même que son fils aîné. Là se trouve la chair du roman : dans la vie retrouvée par Skender des temps anciens, grâce à l’argent dont il touche d’ores et déjà une partie, qui lui permet de revenir vers les siens en homme nouveau avec des projets (tout en leur dissimulant ce qui, à terme, se trame).

La psychologie des personnages n’est sans doute pas la plus élaborée, mais ce n’est pas là l’enjeu principal. Les Tourmentés est un vrai-faux roman d’action, qui s’épanouit comme tel dans la langue – et c’est heureux. La phrase au présent claque, abrupte, dénuée de gras comme un muscle surentraîné, et devient plus sinueuse, paradoxalement plus mélodieuse, quand elle se projette dans les scènes de combats à venir, dont on ne sait, à ce moment de la lecture, si elles deviendront réelles ou resteront virtuelles. « Alors, on verra vraiment ce que vous valez, Madame. J’éviterai les sommets dénudés sur lesquels une silhouette se détache. Je me ferai poisson, je resterai dans l’eau glacée, serpent, je ramperai sous terre, terré sous des branchages, à quelques mètres de vous ou très loin, peu importe, vous ne saurez jamais où me chercher et je saurai toujours où vous serez. » Dès son premier essai, voilà qui est clair : Lucas Belvaux a aussi l’étoffe d’un romancier.

Littérature
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