À Bagnolet, on bétonne bien les chèvres
La bergerie des Malassis est menacée par des travaux de reconstruction d’une école maternelle. Ce lieu écologique et social, quasiment unique en son genre en Île-de-France, reçoit le soutien de nombreux habitants qui luttent depuis des mois pour le sauver. Reportage.
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Il fait encore sombre en ce petit matin du 30 août. Au cœur de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), un petit groupe se rassemble au milieu des immeubles devant la bergerie des Malassis, ferme autogérée de presque 2 000 mètres carrés que les personnes réunies sont venues défendre. Car cet espace quasiment unique en Île-de-France est menacé par un projet de la mairie.
Au chant du coq, armés de banderoles et de café, les activistes ont à peine installé leur petite table que débarque la police nationale. La présence des forces de l’ordre n’étonne plus les militants, qui multiplient les actions pour empêcher le chantier d’avancer. « Il y a quelques jours, on a bloqué le passage d’une benne et stoppé les travaux pendant toute une journée », s’enorgueillit une jeune femme. La veille, un militant a escaladé les barrières pour protéger un arbre du déracinement. Depuis deux mois, une lutte de terrain s’est mise en place pour contrer la pelleteuse.
Le projet d’urbanisme de la commune de Bagnolet ne fait pas l’unanimité dans le quartier. Il a pour objet principal une vieille école maternelle, remplie d’amiante, jouxtant la bergerie. Le projet de la mairie ? Détruire la ferme et l’école. Et reconstruire cette dernière sur le terrain de la bergerie qui serait alors délocalisée à la place de ladite école. Un projet jugé « aberrant » par Gilles Amar, gérant de la ferme et fondateur de l’association Sors de terre.
On est ici depuis treize ans. Ils vont devoir couper 55 arbres et bétonner de bonnes terres.
Dans la ferme, les chèvres vivent au milieu de quelques poules avec, en paysage de fond, la pelleteuse jaune du chantier, déjà bien avancé. « On est ici depuis treize ans. Ils vont devoir couper 55 arbres et bétonner de bonnes terres. Mais ce n’est pas tout », explique Gilles. Pendant la durée des travaux, la ferme devra déménager. La majorité des chèvres de Gilles Amar ont déjà quitté Bagnolet pour la Normandie et les solutions de maintien proposées par la mairie obligent la bergerie à s’étaler sur plusieurs petites parcelles : elle serait par conséquent coupée de son public local pendant deux ans.
Une bergerie d’« intérêt général »
Depuis sa création, Sors de terre participe activement à la vie de quartier en ouvrant la bergerie aux familles, aux jeunes handicapés, aux réfugiés. L’association organise aussi des ateliers de réinsertion dans les jardins de Bagnolet, de Montreuil et d’Aubervilliers. Des activités impossibles à maintenir durant les travaux, selon Gilles Amar.
S’il y a une mobilisation, c’est parce que c’est un lieu vivant où l’on essaie de garder un lien entre socioculturel et naturel. On défend un patrimoine où tout le monde est acteur.
De plus, le projet final ne convient pas non plus aux opposants. Alors que les plantes et les animaux fertilisent le sol de la bergerie, le déménagement sur un sol « mort » recouvert par des dalles de béton pendant des années inquiète grandement le fermier urbain. « On va se retrouver sur un mauvais sol, sans arbres anciens et, en plus, derrière une école en béton de 17 mètres de haut. »
En 2019, la municipalité lui avait proposé jusqu’à 360 000 euros de subventions pour déménager sur un autre lieu. Offre qu’il avait refusée : « Le terrain n’était pas assez grand pour accueillir dans de bonnes conditions les animaux », argumente-t-il. « Ici, ce ne sont pas seulement des arbres. S’il y a une mobilisation, c’est parce que c’est un lieu vivant où l’on essaie de garder un lien entre socioculturel et naturel. On défend un patrimoine où tout le monde est acteur. »
Lutte de quartier
Parmi les militants qui s’opposent au projet, certains ont créé l’association Sauvons l’îlot Pêche d’or pour s’organiser. _« Ce lieu, c’est l’écologie sociale et populaire, mais vécue, pas seulement une phrase sur un tract », lance Maxime. Depuis le début, ce jeune homme occupe le front de la lutte et essaie de négocier avec tous les acteurs.
Après avoir discuté avec un agent de la mairie sur la suite des travaux et plus particulièrement sur la protection d’un arbre qui risque de se faire abattre dans la journée, il salue gentiment un des ouvriers. « On est en bons termes avec eux, ils ne font que leur boulot et essaient de gagner leur vie. Le vrai problème vient des institutions et des politiques. » Lui et d’autres militants n’hésitent pas à critiquer la position des élus EELV et PS qui « ne veulent rien entendre ». Contacté, le cabinet du maire n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Le son de cloche est le même du côté de l’école. Si la directrice ne souhaite pas s’exprimer publiquement, les parents d’élèves soutiennent la bergerie. Au petit matin, ce 1er septembre, c’est la rentrée des classes. Les parents et leurs bouts de chou râleurs s’entassent devant les grilles. « Tout ça n’a aucun sens ! En plus, nos enfants vont devoir vivre pendant deux ans au milieu des travaux, dans le bruit, dans la poussière », explique une mère d’élève. Pour un couple, « cette bergerie est une chance. Tout le monde rêve d’en avoir une à côté de son école ».
Projet alternatif balayé
Dans ce bras de fer, les militants ne sont pas venus les mains vides : les deux associations Sors de terre et Sauvons l’îlot Pêche d’or ont exposé un projet alternatif à la municipalité. Plutôt que de tout détruire pour tout reconstruire, ils proposent de ne pas toucher à la bergerie et de construire la nouvelle école sur son emplacement actuel. Le nouveau bâtiment, en bois, serait construit sur un étage unique.
Pour Nelly, membre de Sauvons l’îlot Pêche d’or, « ce projet de ferme-école, en plus d’être bien plus écolo, coûtera aussi beaucoup moins cher ». Une étude réalisée par un architecte prévoit 3 millions d’euros d’économies, une somme non négligeable pour la ville, endettée à hauteur de 150 millions d’euros, où 29 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2019. Le projet a été refusé. Depuis, la mairie a quand même accepté de retirer deux bâtiments par rapport au plan initial. « Ce n’est pas assez », tempête Gilles Amar.
Ici, il y a des hérissons et des chauves-souris qui sont des espèces protégées.
Pour les militants, il devient nécessaire d’attaquer sur tous les fronts. Ce matin-là, Maxime arrive avec une caméra à la main. « Elle permet de détecter les animaux la nuit. Ici, il y a des hérissons et des chauves-souris qui sont des espèces protégées », explique le jeune homme en montrant une petite boule de pics qui semble être un petit hérisson sur l’écran de la caméra.
Les opposants au démantèlement de la bergerie cherchent donc dorénavant à prouver l’illégalité des travaux. « L’évaluation environnementale du projet ne parle pas de ces animaux », dénoncent les membres de Sauvons l’îlot Pêche d’or. L’association a déposé un référé, mardi 30 août, au tribunal administratif.