Affaire Quatennens : un dilemme féministe
Le communiqué publié par le député de La France insoumise concernant ses agissements violents rappelle, une fois de plus, le paradoxe existant entre nécessité de dénoncer publiquement les violences conjugales et respect du souhait de discrétion des victimes.
dans l’hebdo N° 1724 Acheter ce numéro
Je ne suis pas un homme violent ». Comment interpréter l’affirmation d’Adrien Quatennens, après la description de ce qu’il pense être le contenu de la main courante déposée par son épouse ? À lire le communiqué du député du Nord, saisir le poignet, prendre le téléphone et « donner » une gifle à sa partenaire ne feraient pas de lui « un homme violent ». Mais alors, que faut-il faire pour en être un ?
Il est utile de rappeler au coordinateur de La France insoumise, aujourd’hui mis en retrait du mouvement, que ses agissements apparaissent bien dans le « violentomètre » créé par l’Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis dès 2018. Et que 33% des violences conjugales surviennent au moment de la séparation, selon les femmes interrogées dans le cadre d’une étude de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le contexte de rupture n’excuse rien. Pire, il favorise les coups.
Une déclaration qui souligne le réflexe qu’ont les auteurs de violences conjugales de se dissocier de leur geste.
Cette déclaration souligne aussi le réflexe qu’ont les auteurs de violences conjugales de se dissocier de leur geste. C’est ce que montre Isabelle Seret, intervenante en sociologie clinique, dans son dernier ouvrage Chez moi vit la violence (1). Les hommes qu’elle suit refusent souvent de voir leur identité réduite au statut d’auteur de violences.
D’autant plus, s’agissant d’Adrien Quatennens, lorsqu’on est à la tête d’une formation politique qui a érigé la lutte contre les violences sexistes et sexuelles comme un combat prioritaire. Et que l’on profite de toute « l’affection » de son entourage – celle de Jean-Luc Mélenchon en tête, qui n’y voit qu’une affaire de « divorce », explique-t-il dans une note sur son blog. Comme s’il existait une injonction silencieuse à séparer l’homme des violences qu’il commet.
Exigence de visibilisation
Cette extrême difficulté masculine à reconnaître la violence intrafamiliale, sexiste et sexuelle, pousse à une exigence de visibilisation. Quoi qu’il en coûte. Quitte à « prendre en otage » les victimes dans une médiatisation qu’elles n’ont pas toujours voulue. Ce fut le cas dans l’affaire Taha Bouhafs. Ça l’est encore avec celle d’Adrien Quatennens. La discrétion souhaitée par certaines victimes n’est plus garantie, minée par les injonctions médiatiques et les instrumentalisations politiques. Il se crée alors un dilemme extrêmement difficile à résoudre pour les féministes : respecter la volonté des victimes versus exiger une réaction globale de la société.
Car posons-nous la question collectivement : si la violence de M. Quatennens envers son épouse n’avait pas été médiatisée, l’auteur et son entourage auraient-ils été ainsi confrontés à leur manque de prise de conscience ? Prendrait-on la mesure du phénomène au sein des militants qui se déclarent « féministes » ? Et quid de l’urgence à agir pour protéger les femmes de cette mécanique mortifère ?
(1) Chez moi vit la violence, une victomologue à l’écoute des auteurs de violences familiales, Isabelle Seret, La Manufacture de livres, 2022
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