Élections au Brésil : « L’insécurité alimentaire est le fruit des politiques antisociales »
Le démantèlement des filets de sécurité installés par la gauche est directement responsable de l’augmentation du nombre de personnes souffrant de la faim au Brésil, selon le chercheur Renato Maluf.
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En considérant les personnes déclarant s’alimenter « moins » ou « plus mal », l’insécurité alimentaire touche 125,2 millions de Brésilien·nes, soit près de 60 % de la population : c’est une crise massive qui frappe le pays, pourtant sorti des radars de la faim, pour l’essentiel, pendant les années Lula. Réaction de Jair Bolsonaro, face à ces chiffres : « Vous voyez des gens quémander du pain dans les boulangeries ? Donc ce sont des bêtises… » Entretien avec Renato Maluf, coordinateur du Penssan.
Le sérieux de votre étude a été mis en cause par Bolsonaro…
Renato Maluf : Elle a été réalisée au domicile de près de 13 000 familles, dans les 26 États de l’Union, et selon les normes de l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE). Elle révèle la situation alimentaire la plus catastrophique pour le pays depuis que cet organisme la mesure. Alors que le nombre de familles en situation d’insécurité alimentaire était tombé à 23 % de la population en 2014, l’IBGE mesure un retournement de tendance à partir de 2017-2018.
Comment s’explique un tel effondrement ?
Certes, le contexte économique se dégrade à partir de 2011, notamment sur les marchés internationaux, ce qui affecte les exportations brésiliennes. Le chômage repart à la hausse, les banques durcissent leurs conditions, les grands potentats ruraux s’accrochent à leurs privilèges. Et conjointement, dès son « coup d’État constitutionnel », qui a chassé Dilma Rousseff de la présidence, la droite organise le démontage des filets de sécurité sociale mis en place auparavant.
Le salaire minimum n’est plus revalorisé, le code du travail est réformé dans le sens des intérêts patronaux, les garde-fous qui garantissaient un minimum de sécurité alimentaire sont démantelés, y compris les aides à l’agriculture familiale (1). Et, par-dessus tout, le gouvernement Temer fait appliquer en 2017 l’infâme « Têto de gastos » (« plafond de dépenses »), qui gèle pour vingt ans la plupart des dépenses publiques !
Les personnes qui souffrent le plus fréquemment de la faim se rencontrent dans les familles noires où des femmes seules vivent avec des enfants de moins de 10 ans, et en milieu rural.
Bolsonaro, pour sa part, attaque son mandat, en 2019, en se défaisant d’organes nationaux en charge de la sécurité alimentaire, thème qui disparaît de l’agenda gouvernemental. Dans une société brésilienne très inégalitaire, il n’est pas surprenant de constater la grande vulnérabilité des plus pauvres. Les personnes qui souffrent le plus fréquemment de la faim se rencontrent dans les familles noires où des femmes seules vivent avec des enfants de moins de 10 ans, et en milieu rural.
Dans quelle mesure la pandémie de covid a-t-elle contribué à cette explosion de la faim ?
Elle a amplifié le phénomène, principalement en raison de l’attitude totalement irresponsable de Jair Bolsonaro, dans le déni de la gravité de la crise sanitaire. Cependant, le covid n’est pas la cause principale de l’insécurité alimentaire, qui résulte de politiques antisociales.
Bolsonaro vient d’augmenter, de 400 à 600 réaux (2), l’aide Auxílio Brasil, allocation mensuelle destinée aux plus pauvres. Avec quel impact ?
Il s’agit d’une mesure de propagande électorale de dernière minute, qui n’aura qu’un effet limité sur l’insécurité alimentaire tant sont importants l’inflation, le chômage et l’endettement des familles. Par ailleurs, le gouvernement a restreint l’accès de cette aide aux personnes en situation d’extrême pauvreté. Et Bolsonaro ment – comme toujours – en prétendant que cette augmentation sera maintenue au-delà de fin 2022 : la programmation financière présentée au Sénat évoque un Auxílio Brasil d’un montant de 400 réaux !
(1) Qui nourrit 70 % de la population brésilienne.
(2) Soit de 77 à 115 euros environ.
Photo Renato Maluf : DR.
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