Élections au Brésil : « Nous avons besoin d’élu·es indigènes »

L’Articulation des peuples indigènes du Brésil porte une nouvelle stratégie électorale très volontariste, explique Kleber Karipuna, coordinateur exécutif d’une des plus virulentes oppositions à Jair Bolsonaro. Quatrième volet qui clôt notre première série d’articles sur les élections de 2022.

Patrick Piro  • 14 septembre 2022 abonnés
Élections au Brésil : « Nous avons besoin d’élu·es indigènes »
© Photo : Tuane Fernandes.

Jamais une présidence n’avait autant attaqué les droits des peuples indigènes (1), dénonce l’Articulation des peuples indigènes du Brésil (Apib), principale coordination de peuples indigènes du pays. Considérée comme l’une des plus virulentes forces d’opposition à Jair Bolsonaro, elle soutient pour l’occasion la candidature de Lula, en dépit de griefs importants à l’encontre de son Parti des travailleurs (PT), qui n’a jamais pleinement soutenu ses revendications.

Vos communautés ont longtemps été réticentes à participer aux joutes électorales. Qu’est-ce qui a changé en 2022 ?

Kleber Karipuna : Nos peuples se mobilisent depuis longtemps pour leurs droits. Dès les années 1970, nous avons vu se multiplier les luttes pour la reconnaissance de nos terres et pour des politiques publiques adaptées à notre culture. Nous avons commencé à nous mêler de politique partidaire à partir de 2017. L’année suivante, pour la présidentielle, le Parti socialisme et liberté a choisi Sônia Guajajara, l’une de nos chef·fes de file, pour être la candidate à la vice-présidence de Guilherme Boulos.

En 2020, c’est la montée en puissance avec le lancement de notre « campagne indigène » pour les élections municipales, qui a fait élire 10 % des 2 000 candidatures issues de nos rangs. En dépit des difficultés imposées par la crise du covid, l’Apib a mis pour la première fois en place un dispositif destiné à aider les candidat·es à ajuster leurs orientations et à préparer les débats. En 2022, les candidatures indigènes se sont multipliées, et notre soutien se déploie sur l’aide juridique, la communication sur les réseaux sociaux, les articulations politiques locales et même l’assistance comptable.

Le Tribunal supérieur électoral dénombre plus de cent-quatre-vingts candidatures indigènes, ce qui contribue à la visibilité de votre démarche…

C’est un point de vue. L’inconvénient, c’est que l’appartenance à une catégorie ethnique est autodéclarative (2), sans la moindre vérification. Et nous soupçonnons un phénomène d’opportunité, car la cause des peuples indigènes ainsi que celle de la lutte contre le dérèglement climatique, à laquelle ils sont naturellement associés, attirent la sympathie du public.

Avec dix-huit candidates, les femmes sont majoritaires dans ce groupe, qui constitue un fer de lance politique de notre mouvement.

Pour clarifier les choses, l’Apib a choisi pour la première fois de mettre en avant trente candidatures indigènes à la députation fédérale ou d’État, auxquelles le mouvement a accordé son estampille en raison de leur adhésion à sa ligne – défense de la démocratie, de la justice sociale, des droits humains, de l’écologie, de la souveraineté nationale et de nos droits fondamentaux historiques. Avec dix-huit candidates, les femmes sont majoritaires dans ce groupe, qui constitue un fer de lance politique de notre mouvement.

Numériquement, cela reste cependant confidentiel. Que pourraient faire ces élu·es ?

Tout d’abord, il s’agit d’occuper des espaces au sein des assemblées législatives. Aujourd’hui, nous comptons en tout et pour tout une unique députée indigène, Joênia Wapichana, sur 513 sièges au Congrès fédéral ! En incluant les parlementaires pro-indigènes, notre pôle compte entre 10 et 15 voix, ce qui représente toujours une énorme disproportion au regard des enjeux portés par nos peuples. Cependant cette stratégie, qui vise au-delà des scrutins de 2022, a une portée de long terme.

Nous ne pouvons pas nous désintéresser d’un Congrès très majoritairement anti-indigènes, qui a multiplié les mesures qui nous lèsent.

Il s’agit de former des personnes en mesure de s’imposer lors des municipales de 2024 et des élections générales de 2026, et de jouer un rôle au sein des institutions. Nous ambitionnons d’intégrer un nombre grandissant de personnalités indigènes dans les débats démocratiques et les joutes partidaires. Aller défendre nos intérêts au sein des assemblées législatives est devenu une nécessité. En particulier, nous ne pouvons pas nous désintéresser d’un Congrès très majoritairement anti-indigènes, qui a multiplié les mesures qui nous lèsent.

Le mandat de Bolsonaro a été marqué par des attaques constantes contre vos droits…

En quatre ans, nous avons recensé plus de 150 mesures attaquant les droits des peuples indigènes ou néfastes pour le climat et la nature. La plus préoccupante est un projet de loi, en cours d’examen, qui transfère au Congrès national la responsabilité de la démarcation de nos terres, ce qui signifie non seulement que ce processus de démarcation risque d’être gelé, mais également qu’il existe une menace de révision du statut de territoires indigènes déjà démarqués !

Nous avons besoin de parlementaires indigènes pour résister au déferlement législatif. C’est ­indispensable.

Un autre projet, traité en procédure d’urgence, veut ouvrir nos territoires à l’exploration minière. Sans qu’il y ait eu le moindre débat avec les peuples indigènes, et alors que la Constitution de 1988 déclare qu’ils sont les seuls usufruitiers de leurs territoires. Un autre texte prépare le retrait du Brésil de la très importante Convention 169 de l’Organisation internationale du travail, qui oblige au consentement préalable des communautés indigènes pour tout projet les affectant. Nous avons besoin de parlementaires indigènes pour résister à ce déferlement législatif. C’est ­indispensable.


(1) On conservera dans cet entretien le terme « indigène », communément utilisé au Brésil, et sans connotation dépréciative.

(2) Chaque candidat·e doit cocher la catégorie dans laquelle il se reconnaît : « blanc », « métis », « noir », « indigène » ou « jaune ».

Monde
Publié dans le dossier
Battre Bolsonaro
Temps de lecture : 5 minutes

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