Élections au Brésil : Rosa Amorim, au nom des sans-terre
À l’image d’autres mouvements sociaux, le Mouvement des travailleurs ruraux sans-terre (MST) s’est décidé, cette année, à multiplier les candidatures à la députation. Troisième volet de notre première série d’articles sur les élections de 2022.
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En quelques mois, le siège du Mouvement des travailleurs ruraux sans-terre (MST) de la ville de Recife est devenu le cœur battant de la gauche locale. Le bar applaudit, rit aux bons mots de l’ex-président, 76 ans, aiguisé comme jamais dans sa reconquête du pouvoir, sanctifié par la mission d’en chasser Bolsonaro. Aux premiers rangs, Rosa Amorim bondit soudain vers l’écran, bras ouverts, tout à sa joie : Lula vient de verser un tombereau de fleurs sur le MST et son travail « extraordinaire ». C’est comme si la jeune femme venait de recevoir l’onction de son père politique.
Rosa Amorim est candidate à la députation pour l’État du Pernambouc. Et si elle se présente sous l’ombrelle du Parti des travailleurs (PT) de Lula, son drapeau est d’abord celui du MST. Et en matière de père politique, elle dispose avant tout du sien, Jaime Amorim, figure historique du mouvement. Venu du sud du Brésil, berceau de la mobilisation des sans-terre, il débarque en 1992 dans ce Nordeste ravagé par les sécheresses. Et il s’attache à y implanter le MST, considéré comme le plus important mouvement social d’Amérique latine.
Implication précoce
Alors que la réforme agraire est entravée par la coalition d’intérêts économiques et politiques, le mouvement l’applique à sa manière très directe : l’occupation d’immenses étendues de terre dont les propriétaires ne font rien. Jaime Amorim est en grève de la faim, lors d’une bataille foncière, lorsque sa femme est enceinte de Rosa. La gamine naît sur l’une de ces terres officiellement rendues à celles et ceux qui en ont besoin, la colonie « Normandie », située sur la commune de Caruaru, dans le Pernambouc.
Elle pousse dans le bain collectif de ce mouvement très structuré, qui dispense des formations techniques, converties à l’agroécologie, mais aussi politiques, pour faire émerger des meneuses et des meneurs. Elle n’en perd pas une miette. À l’école de la ville, lors d’une grève contre les insuffisances du transport scolaire, Rose s’implique : « À 11 ans ! Mais devant un processus de lutte, je ne m’imagine pas rester en dehors. »
La jeune fille débarque à Recife, la capitale de l’État. Sa personnalité s’affirme dans la défense de l’éducation. « J’ai pu entrer à l’université fédérale du Pernambouc grâce à une bourse et aux quotas instaurés par les gouvernements PT pour réserver des places aux étudiants qui en sont généralement exclus – Noirs, Autochtones, pauvres, etc. Un système attaqué par Bolsonaro. » Rosa prend la tête d’un mouvement d’occupation qui durera deux ans. « Mais on a subi une défaite terrible… »
Une référence des batailles pour l’éducation
Elle va le payer cher. La direction de l’université décide de son expulsion. « Le collectif s’est battu contre. J’ai quand même écopé d’une suspension de six mois. » À Recife, cependant, elle est devenue une référence des batailles pour l’éducation. Elle intègre la puissante Union nationale des étudiants (UNE), devient par la suite directrice de la culture du syndicat étudiant durant quatre années, dont deux passées au siège, à São Paulo. Bolsonaro, dès son élection, réduit de 30 % les ressources des universités.
Elle remplit les salles, attise la curiosité des médias. Elle est la « sensation » de cette campagne dans le Pernambouc.
De retour à Recife, Rosa renoue avec le MST, qui déploie alors une action considérable dans les quartiers populaires lors de la pandémie de covid (1). Devant l’urgence démocratique, le mouvement, qui a toujours privilégié son autonomie face aux jeux partidaires, décide de s’impliquer dans le processus électoral de 2022. À Recife, alors que l’action du MST lors de la pandémie a porté sa cote au plus haut, ses dirigeants auront l’intelligence de renoncer à imposer leur nom pour solliciter celle qui condense de manière presque trop parfaite les luttes les plus vibrantes de l’époque.
Rosa Amorim, féministe, écologiste, noire, antiraciste, défenseure de l’éducation, lesbienne. Et la plus jeune (25 ans) des quinze candidatures présentées par le MST dans tout le pays. Elle dispose du soutien du milieu de l’éducation et de la culture, remplit les salles, attise la curiosité des médias. « Dans le Pernambouc, je suis considérée comme la sensation de cette campagne. »
Elle en sourit, mais sa voix se trouble quand elle évoque le choc émotionnel de l’appel à s’engager. « Je n’avais jamais envisagé de carrière politique. » Elle accepte, « comme une bonne militante. Mais désormais très animée » par la mission qui lui a été confiée. Et rassurée par l’engagement derrière elle de la machine collective du MST, « qui met tout en œuvre pour que “nous” soyons élus ».