Élections au Brésil : un prêtre en croisade pour les pauvres
À São Paulo, où sa paroisse fournit 1 200 pains par jour aux personnes qui ont faim, le curé Júlio Lancelloti se bat contre l’hostilité que subissent les plus défavorisés.
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Le cortège se dirige vers le centre communautaire São Martinho de Lima, à quelques rues de là. Une sorte d’usine de l’urgence sociale, où des fonctionnaires de la ville enregistrent chaque jour les arrivant·es par centaines, et dont un certain nombre dorment sur le trottoir près de la porte.
Il y a quelques mois, l’équipe du prêtre distribuait sous le préau du presbytère, « mais la demande a tellement augmenté que nous avons rallié ce centre pour être plus efficaces », explique Cintia, bénévole. Au plus fort de la pandémie de covid, il y passait plus de 8 000 personnes par mois, un doublement en quelques semaines.
« En août 2020, 80 % d’entre elles étaient inconnues des services auparavant, relate Paulo, bénévole. Des familles, parfois, et des personnes logées en auberge sociale, qui ont dû arbitrer pour leurs dépenses entre loyer et alimentation. » Pour faire face à cet afflux, Júlio Lancellotti a décidé d’ouvrir une boulangerie destinée aux distributions quotidiennes. « Elle nous livre 1 200 pains par jour. »
De la file qui semble ne pas vouloir s’épuiser, dans le vaste hangar du centre communautaire, jaillit parfois un salut à l’endroit du prêtre. Un sourire, quelques mots qui signalent un compagnonnage durable. Il ne rechigne pas à laisser pleurer sur son épaule ou à prendre dans ses bras un homme en mal d’affection. À 73 ans, s’il fatigue un peu, Júlio Lancellotti reste un point d’ancrage inaltérable pour de nombreuses personnes à la dérive, dans ce quartier.
Attaqué par Bolsonaro
Il y a bien plus que de la compassion, chez lui. Haute taille, regard acéré, verbe tranchant et langue pas dans sa poche, Júlio Lancellotti est un opposant politique. À sa manière, à l’image des curés du temps de la théologie de la libération. Parce qu’il l’a un jour publiquement traité d’homophobe, de raciste et de machiste, Bolsonaro lui a intenté un procès en diffamation. « Il l’a perdu. Je n’ai fait que commenter ses propres propos… »
Les inégalités en sont devenues plus évidentes, jusqu’à l’impudeur, accentuant la faim, le chômage, les difficultés de logement.
La diplomatie du verbe, très peu pour lui. Le retour fulgurant de la faim au Brésil, « c’est la conséquence d’un système capitaliste néolibéral toujours plus acéré, concentrant les revenus comme jamais. Les inégalités en sont devenues plus évidentes, jusqu’à l’impudeur, accentuant la faim, le chômage, les difficultés de logement. Et puis la pandémie de covid-19 n’a pas été combattue, ici. Le négationnisme de Bolsonaro a occasionné près de 700 000 décès au Brésil. »
Lula peut-être de retour au pouvoir, une espérance ? Son débit s’accélère. « Espérance ? Non, alternance de l’exercice du pouvoir, à ce stade. Ne nous berçons pas de l’illusion que ça suffirait à changer les choses en profondeur. Pendant les deux mandats de Lula, jamais les banques n’ont fait autant de profits ! Il aurait des marges de manœuvre, mais la justice, la police, le système pénitentiaire resteront les mêmes. Qui peut croire que le marché immobilier va changer, que l’industrie pharmaceutique va changer ? Le fameux “État démocratique de droit” n’est en rien solidaire des pauvres ! Les conflits et les luttes vont se poursuivre. »
Lutte contre l’aporophobie
Les murs du préau du presbytère affichent les credo du lieu. Il y a la fameuse plaque « rue Marielle Franco » accrochée dans des milliers d’officines de gauche du pays pour brandir la mémoire de cette conseillère municipale de Rio de Janeiro, noire, féministe, issue d’une favela, lesbienne, défenseure des droits des minorités. Et assassinée le 14 mars 2018, alors qu’elle enquêtait sur les crimes de la police militaire fédérale dans les favelas.
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En face, un portrait géant de sœur Dulce des pauvres côtoie l’affiche de la dernière croisade en date du prêtre : la lutte contre l’aporophobie, cette hostilité manifestée envers les pauvres, et que le mandat Bolsonaro a largement décomplexée. « Non au mépris des pauvres », a-t-il fait peindre sur les murs extérieurs.
« Il reçoit régulièrement des menaces », glisse une bénévole préoccupée par sa sécurité. Lui désamorce. « Il y en a toujours eu, parfois plus, parfois moins. Mais je ne prends aucune précaution particulière, je mène une vie normale. » Il vient d’ailleurs de remplacer la grille antieffraction qui enserrait le préau par des bacs de fleurs, afin que le lieu soit plus ouvert et accueillant.