Festival Brésil en mouvements : des mères contre la barbarie
Du 15 au 18 septembre, le festival Brésil en mouvements assume plus que jamais son choix de promouvoir un art en lutte, à l’aube d’élections cruciales qui pourraient chasser Bolsonaro du pouvoir.
dans l’hebdo N° 1722 Acheter ce numéro
L’art et la lutte sont irréductibles : c’est le manifeste du festival Brésil en mouvements, du 15 au 18 septembre.
Brésil en mouvements, du 15 au 18 septembre au cinéma Les Sept Parnassiens, Paris XIVe. Toute la programmation est à retrouver sur www.autresbresils.net, site de l’association Autres Brésils, organisatrice du festival.
D’abord parce que la démocratie y est réellement en péril. Quatre ans de gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro ont non seulement fait reculer le pays de plusieurs décennies, mais aussi profondément dégradé les institutions. Et le président en place, sur le modèle d’un Donald Trump, émet des menaces à peine voilées de putsch au cas où il serait défait dans les urnes, en octobre prochain.
Un cinéma de résistance, détesté par le pouvoir
« Le cinéma devient un territoire de combat où le monde d’après se construit en images », affirme le festival, qui a voulu ériger sa sélection en un « témoignage d’un embrasement – d’un désir d’avenir que la vague bolsonariste ne pourra pas éteindre ». Et ce n’est pas un hasard s’il y est beaucoup question de femmes et de mères, noires ou autochtones, qui en sont fréquemment les cibles.
Ensuite, parce que ce cinéma est lui-même en résistance, objet de détestation d’un pouvoir qui s’est attaqué à l’art et à la culture dès son premier jour d’exercice, en raison de leur pouvoir émancipateur. Il a éliminé le ministère de la Culture, remplacé par un secrétariat d’État sous tutelle du ministère du Tourisme et dirigé par des incompétents (quatre secrétaires en quatre ans. L’un d’entre eux sera viré pour s’être montré inspiré par Goebbels).
Des artistes ont été poursuivis pour leurs œuvres, des expositions interdites, les financements publics ont été attaqués, au point que de nombreux professionnels du cinéma, pour vivre, ont dû se rabattre sur les séries produites par les plateformes numériques.
Présenté en clôture de Brésil en mouvements, Mato seco em chamas (« Broussaille en flammes » en français, Dry Ground Burning à l’international) illustre ce renvoi en miroir. Gratifié du grand prix du Cinéma du réel à Paris, en mars dernier, le film de Joana Pimenta et Adirley Queirós Andrade (2022) déploie sa propre débrouille cinématographique, pour saisir l’inventivité du combat journalier des habitant·es de la marge, dans la ville de Ceilândia en périphérie de Brasília, contre la violence du pouvoir. Deux sœurs découvrent du pétrole et trafiquent l’essence.
Présence grandissante du cinéma autochtone
Ce scénario assez délirant sert de toile de fond à des disputes électorales très contemporaines, entre un peuple noir et pauvre, en lutte pour obtenir une représentation politique, et une classe bolsonariste dominante. Mais il ne suffisait pas au binôme auteur de plaquer du réel sur la fiction ; il raffine. Les comédiens, en partie amateurs, interprètent, à quelques distorsions près mais avec beaucoup de spontanéité, leur rôle dans la vraie vie, induisant le trouble : par moments, on ne sait plus si l’on voyage dans un documentaire ou dans une fiction.
Les femmes sont en première ligne, comme celles qui, sur la plateforme d’un camion équipé pour la propagande électorale de leur candidate à la députation, haranguent le public avec force amplification et envoient les figures de l’autorité masculine dominante « se faire enculer ».
Avec Kaapora : o chamado das matas (Kaapora : l’appel de la forêt, 2021), la jeune réalisatrice Olinda Yawar Wanderley, de l’ethnie des Tupinambá, témoigne de la présence grandissante d’un cinéma autochtone, qui déploie ici une forme propre de docufiction où affleure l’autobiographie. Une jeune femme tupinambá s’enfonce dans la forêt et se mue, à la suite d’un rituel, en Kaapora, qui en est une figure mythique protectrice. Dans un retour au très concret, le court-métrage s’achève sur la promotion d’une action de reforestation.
Charge implacable contre les puissances d’argent et de pouvoir
Le précurseur du cinéma autochtone brésilien, Vincent Carelli, fondateur du projet Vídeo nas aldeias (« Vidéo dans les villages »), sera dignement représenté au festival : il y sera projeté, en avant-première (comme pour sept autres films du festival) et lors d’une séance exceptionnelle « hors les murs » (1), Adeus Capitão (Adieu Capitaine, 2022), dernier volet d’une trilogie qu’il a consacrée à la mémoire du peuple gavião, dont l’histoire illustre le génocide et la résistance des peuples autochtones du Brésil. Un film très personnel.
Carelli, qui a été primé au Canada pour quatre décennies de travail qu’il a consacrées « à donner image et voix aux peuples autochtones du Brésil », y fait un retour sur ses archives et livre une partie de l’histoire de Vídeo nas aldeias, avec l’appropriation audiovisuelle par les Gavião de leurs rituels, de leurs traditions et de leurs luttes politiques, où leur leader Krohokrenhum, le « Capitaine », tient une place importante.
Shirley Krenak donne à saisir le lien intime qui relie le corps des femmes autochtones à celui de la Terre-Mère.
Avec A Mãe de todas as lutas (La Mère de toutes les luttes, 2021), Susanna Lira, importante personnalité du documentaire au Brésil, livre une charge implacable contre les puissances de l’argent et du pouvoir. Un récit bâti autour de deux mères, protagonistes de luttes politiques essentielles au Brésil. Maria Zelzuita est une vieille femme survivante du massacre d’Eldorado dos Carajás – 19 paysans sans-terre tués en 1996 dans l’État du Pará par la police militaire, parmi les centaines de familles qui occupaient une terre privée destinée à être désappropriée. Et Shirley Krenak, magnétique jeune femme du peuple krenak, qui donne à saisir, par son récit totalement habité, ce lien intime qui relie le corps des femmes autochtones à celui de la Terre-Mère.
Une sélection en 5 axes
D’une voix qui gronde sans cri, par ses gestes où l’abandon devient lutte pour se débattre, Shirley Krenak vit le viol de la terre par l’extraction minière, l’extinction de la vie par la rupture d’un barrage aux boues toxiques, la pollution de l’eau, la déchéance de l’homme contemporain. La réalisatrice croise ces deux trames en utilisant, pour chacune, un entrelacement d’images actuelles et de documents d’archives qui figurent une mémoire collective portée par ces deux mères, et qui dépassent la simple relation des événements qui les ont traumatisées. Shirley Krenak sera présente dans la salle, samedi 17 septembre, pour rencontrer le public.
Le festival a divisé sa sélection en cinq axes : la résistance des femmes, la lutte des peuples autochtones, la résistance des communautés noires, le droit au logement et la résistance contre la discrimination de genre et d’orientation sexuelle (LGBT). Illustrant ce dernier thème, il est aussi question de mère dans Germino pétalas no asfalto (Fleurs de l’asphalte, 2022). Coraci Ruiz, coréalisateur avec Júlio Matos, y filme son fils, entre autres protagonistes de ce documentaire sur la vie de jeunes queers de la région de São Paulo.
En dépit du climat de haine que professe le gouvernement à leur endroit, elles et ils vivent leur transfert de genre, la découverte de leur personnalité mais aussi l’engagement politique, dans une ambiance d’amitié qui vaut manifeste de réinvention de la société, sous l’œil d’une caméra pleine de tendresse et d’espérance.
Enfin, il ne sera pas difficile d’accueillir, dans cette galerie de films, Le Marin des montagnes (2021), de Karim Aïnouz, présenté lors la sélection officielle de Cannes en 2021, et qui ouvre Brésil en mouvements. Le cinéaste y part à la recherche de ses racines kabyles dans l’Algérie de son père, réalisant ainsi le pendant de son premier long-métrage, Seams (1993), tourné presque trente ans plus tôt, où il rendait hommage à sa mère née au Brésil, pays qui lui a inspiré plusieurs films.
(1) Le 29 septembre au cinéma Le Saint-André des Arts, Paris VIe.