« Final Cut » de Myriam Saduis, ou la chronique d’une folie familiale
L’autrice et metteuse en scène mêle avec force et subtilité chronique familiale et historique. Sa pièce révèle les traces laissées par la colonisation française en Afrique du Nord.
dans l’hebdo N° 1724 Acheter ce numéro
La folie, chez Myriam Saduis, est un puissant moteur de théâtre. Dès sa première pièce, Affaire d’âme (2004), elle est au cœur de son univers, de ses interrogations. Dans ce texte inédit d’Ingmar Bergman, une femme cherchait à atteindre sa propre vérité malgré l’effondrement qui la saisissait, la menant à l’enfermement psychiatrique.
Final Cut, jusqu’au 27 novembre, Théâtre de Belleville.
La citation placée en exergue de la pièce Final Cut, créée en 2018 au Théâtre Océan Nord à Bruxelles et en tournée depuis, place celle-ci dans la continuité des créations précédentes de l’autrice et metteuse en scène : il s’agit de mots de Michel Foucault tirés d’Histoire de la folie à l’âge classique, qui affirment une présence de la drôlerie dans la douleur et la mort.
Final Cut est le récit d’un déséquilibre maternel créé par une violence historique : celle de la colonisation française en Afrique du Nord.
Myriam Saduis porte dès l’ouverture de sa pièce ce paradoxe d’une façon très personnelle. En racontant la fuite de sa mère, « retrouvée errante dans une gare à Paris, à 300 km de son domicile », et évoquant auprès de son médecin « la nécessité impérieuse de rejoindre son “royaume perdu” […], de “réorganiser les territoires” et de “refonder une politique” », l’artiste entame son exploration la plus intime de la folie. Nourri de ses spectacles antérieurs et de nombreuses années de psychanalyse, Final Cut est le récit, ou plutôt la reconstitution, d’un déséquilibre maternel créé par une violence historique : celle de la colonisation française en Afrique du Nord.
Entre conférence et confession
Maintenant un troublant équilibre entre le ton de la conférence et celui de la confession intime, Myriam Saduis nous livre tantôt des bribes de son roman familial, tantôt des éléments historiques qui le mettent en perspective. La violence de l’amour de sa mère, Italienne née en Tunisie en 1938, pour un Tunisien ne se comprend en effet pleinement qu’à la lumière de la relation qu’entretient alors l’Occident avec les pays arabes.
Au fil fragmentaire de la pièce, il apparaît que l’absence du père dans la mémoire de Myriam, qui donne à Final Cut des allures d’enquête, est liée au contexte postcolonial dans lequel ont vécu ses parents. Le discours de Jules Ferry à l’Assemblée nationale en 1885, où il est dit que « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures », ou la guerre de Bizerte en 1961 – l’année de naissance de Myriam – pèsent sur l’idylle parentale.
Dresser ce constat, pour Myriam Saduis, débouche sur une forme d’apaisement qu’elle offre en partage. Avec l’humour dont elle ne se départit jamais, l’art est là pour contribuer à la guérison des maux légués par l’histoire. Autant qu’à des événements, l’actrice se réfère à des œuvres du passé, en imite parfois les formes. Il y a ainsi du Marguerite Duras dans sa pièce, du Jacques Demy, du Barbara, et bien sûr du Tchekhov. Sous son écriture très ciselée et directe, toutes ces références participent d’un monde où l’ouverture si douloureusement absente hier est maintenant la règle.