Italie : les fascistes au pouvoir face à une gauche en déroute
Divisée, incapable de s’adresser aux classes populaires, la gauche laisse l’Italie aux mains d’une extrême droite dédiabolisée, incarnée par une Giorgia Meloni appelée à diriger le futur gouvernement.
dans l’hebdo N° 1725 Acheter ce numéro
D’aucuns prétendent que l’histoire bégaie. Les anniversaires peuvent-ils confirmer cette croyance ? Au vu des résultats des élections italiennes de ce dimanche 25 septembre, on se doit de relever que la large victoire des post-fascistes du parti Fratelli d’Italia (FDI), emmené par une Giorgia Meloni appelée à diriger le gouvernement, intervient cent ans (presque jour pour jour) après la fameuse marche sur Rome.
En 1922, les chemises noires permirent – à grands coups de gourdins et d’huile de ricin – à Benito Mussolini d’accéder au pouvoir. Mais, un siècle plus tard, en dépit de clins d’œil souvent appuyés de « la Meloni », comme disent les Italiens, au souvenir du Ventennio (les vingt ans de dictature fasciste), point de marches ni de violences de rue. Pas même un rassemblement de victoire, dimanche soir à Rome. Il s’agit pourtant bien d’un raz-de-marée électoral pour ce parti ouvertement « post-fasciste » qui, avec 26 % des voix, emmène une coalition de « centre-droit » totalisant plus de 44 % des suffrages.
Nette victoire même dans les bastions de gauche
Cette nette victoire, jusque dans de nombreux bastions de gauche depuis 1945 pétris de culture antifasciste, s’explique d’abord par la constance de FDI et de Giorgia Meloni dans leur refus de participer aux récentes coalitions gouvernementales, souvent de circonstance. FDI est le seul parti à s’être opposé à la gestion de la pandémie de covid et au gouvernement sortant du très libéral Mario Draghi, mis en minorité le 20 juillet.
Sans programme précis, la formation est parvenue à prendre le leadership à droite, reléguant à moins de 9 % la Ligue de son concurrent Matteo Salvini, l’un des grands perdants de ce scrutin, et autour de 8 % son autre allié, Forza Italia de Silvio Berlusconi, qui avaient, tous deux, participé aux précédents gouvernements.
Ultra-divisée, la gauche paie les effets d’un mode de scrutin complexe… conçu par elle.
Mais comment expliquer une telle défaite de la gauche ? Ultra-divisée, elle paie d’abord les effets d’un mode de scrutin fort complexe, mêlant proportionnelle et élection uninominale à un tour, conçu en 2017 – par elle – pour favoriser les coalitions afin de contrer le Mouvement 5 étoiles (M5S) qui, alors, menaçait seul le centre-gauche. Après des scissions internes, ce parti antisystème vient de sauver nombre de ses élus, notamment dans le Sud (c’est lui qui a mis en place le « revenu de citoyenneté », équivalent de notre RSA).
Mais, depuis de longues années, le très modéré Parti démocrate (PD) ne sait plus, ou de moins en moins, s’adresser à son électorat traditionnel. Ancien dirigeant de la Fondation Jacques-Delors, son secrétaire national, Enrico Letta, n’a cessé de coller à la ligne et à l’agenda du très impopulaire et néolibéral gouvernement Draghi – le PD ne pensant qu’à prouver sa stature de parti de gouvernement. Quoi qu’il en coûte…
Campagne insipide
Or ce reflux massif de la gauche italienne, toujours plus éloignée de ses électeurs potentiels, va de pair avec la désaffection de l’électorat (36,1 % d’abstention) pour un scrutin marqué par une campagne insipide. Avec moins de 20 % des suffrages exprimés, le PD voit tous ses candidats ou presque perdre dans les scrutins uninominaux, y compris dans ses places fortes historiques, jadis imperdables, comme la banlieue ouvrière de Milan, la Toscane ou l’Émilie-Romagne.
Le Parti démocrate apparaît seulement comme un instrument du système, semble voué à suivre la voie du PS français, version Valls ou Cazeneuve.
Il Manifesto, le quotidien de la gauche critique, qualifie à juste titre ce scrutin de « défaite catastrophique ». Non sans saluer le score (modeste) de l’alliance entre les Verts et Sinistra italiana (formation à gauche du PD) qui, avec 4,1 %, a réussi à dépasser le seuil de 3 % permettant d’avoir des élus. Maigre consolation.
Le PD, qui continue à s’enferrer dans sa posture de formation sourde à son propre électorat et apparaît seulement comme un instrument du système, semble voué à suivre la voie du PS français, version Valls, Cazeneuve ou Hidalgo. Souhaitant tellement être perçu comme un parti de gouvernement, regardant seulement vers Bruxelles et les retours de l’establishment, il semble même incapable de se glisser dans les habits du parti d’opposition qu’il est pourtant appelé à endosser. Contrairement au M5S, qui risque de lui disputer, durant cette législature, le rôle de premier opposant.