« Le Cartographe des absences » de Mia Couto : les cyclones du Mozambique
Avec son nouveau roman, Mia Couto poursuit son exploration de la mémoire dans des allers-retours entre les années 1970 et aujourd’hui.
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Le titre du nouveau roman de Mia Couto, Le Cartographe des absences, en rappelle un plus ancien, L’Accordeur de silences (2011), également paru chez Métailié, qui le publie depuis 1996.
Le Cartographe des absences, Mia Couto, traduit du portugais (Mozambique) par Elisabeth Monteiro Rodrigues, Éditions Métailié, 352 pages, 22,80 euros.
Il révèle son goût pour l’antinomie, qui se déploie à tous les niveaux du récit, depuis la langue utilisée jusqu’à la structure du texte. Les opposés qui cohabitent dans son œuvre placent celle-ci sur une frontière dangereuse entre un monde ordonné, harmonieux, et un autre peuplé d’ombres où évoluent des créatures fantastiques. Cette ligne est un pays : le Mozambique.
Dans L’Accordeur de silences, la terre-frontière n’était pas ou peu nommée. Elle était dite sur le mode de la métaphore : un homme élève ses deux fils dans la croyance qu’en dehors du coin perdu qu’ils habitent rien n’a survécu à la guerre qui dans un passé proche a ravagé le monde.
Portée par l’un des enfants qui finit par échapper à la prison paternelle, la narration est pleine de mots et d’histoires fantastiques, inventés. Le narrateur du Cartographe des absences, Diego Santiago, est beaucoup plus terre à terre dans le récit de son retour en 2019 dans sa ville natale de Beira, à la veille du cyclone Idai qui allait dévaster la ville.
Le rapport entre réel et fiction au cœur du roman
Comme le dit l’auteur dans une note préliminaire, ce dernier livre est « inspiré de personnes et d’épisodes réels. En d’autres termes : dans ce livre, ni les gens, ni les dates, ni les lieux n’ont d’autre prétention que d’être de la fiction ». Le rapport qu’entretiennent le réel et la fiction est au cœur du roman. Poète portugais du Mozambique et fils de poète, Diego renoue avec son passé et celui de son père grâce à des archives que lui transcrit une jeune femme, Liana, elle aussi éprise d’écriture au point d’être tentée d’intervenir dans les documents dont l’authenticité est de moins en moins sûre à mesure que leur échange avance.
Ces archives nous ramènent en 1973, lors d’un massacre commis au Mozambique par les troupes portugaises alors qu’éclatait, là aussi, un cyclone, dont le souvenir planant sur le livre relie les violences du présent à celles du passé.
En quête de leurs absents – un père et un neveu dans le cas du poète, une mère pour Liana –, les deux personnages centraux du roman reconstituent une histoire proche de celle de Mia Couto lui-même. Si Diego n’est pas né comme lui au Mozambique de parents portugais ayant fui la dictature salazariste, et s’il ne s’est pas engagé dans les années 1970 dans la lutte pour la libération du joug colonial, il n’en est pourtant pas éloigné.
Des archives surgissent, qui ponctuent le roman d’êtres aux croyances et aux langages très éloignés de ceux du poète, homme de son temps. Ces voix plurielles peuplent avec force les trous des mémoires familiales de Diego et Liana, et accompagnent la naissance de leur amour.