Le sociologue Michel Pinçon, spécialiste des classes dominantes, nous a quittés

Engagé à gauche, cet intellectuel, décédé ce 26 septembre, souvent présent dans nos pages avec sa femme Monique, co-autrice de ses livres, décryptait la domination des classes dominantes et la transmission des richesses dans un strict entre-soi. Retour sur une vie de travail engagé.

Olivier Doubre  • 29 septembre 2022
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Le sociologue Michel Pinçon, spécialiste des classes dominantes, nous a quittés
© Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, en septembre 2011. (Photo : JACQUES DEMARTHON / AFP.)

On ne peut que penser aujourd’hui, avec émotion et douleur, à sa femme Monique, avec qui il a formé un couple (« Les Pinçon-Charlot ») uni pendant plus d’un demi-siècle et écrit presque tous ses ouvrages. Ils avaient choisi un « terrain » en sociologie assez peu emprunté alors par leurs collègues : celui de la transmission de classe parmi les dominants, les ultrariches ou les vieilles familles de l’aristocratie.

On se souvient ainsi de scènes assez truculentes dans certains documentaires les suivant dans leurs enquêtes auprès d’héritiers et d’aristocrates. Notamment, l’aisance avec laquelle ils conversaient, surtout Monique, lors d’un dîner dans la grande salle à manger d’un château tricentenaire, avec leurs propriétaires au nom doté de plusieurs particules…

Michel Pinçon était né dans une famille ouvrière des Ardennes, pays austère, qui explique sans doute son relatif retrait devant les micros, laissant toujours Monique répondre aux interviews, non sans s’occuper, lui, d’une relecture et une réécriture extrêmement attentives.

Dès sa prime jeunesse, il observe sans cesse ce monde ouvrier où il est né, avec une attention toute particulière pour les rapports de classes et de domination. C’est durant ses études de sociologie à la faculté de Lille au mitan des années 1960 qu’il rencontre Monique Charlot, alors éloignée de sa famille bourgeoise (elle est fille de magistrat) originaire du sud de la France, plus méditerranéenne, moins réservée que lui.

Fascination pour Bourdieu

Comme la plupart des étudiants de gauche en sociologie à cette époque, ils travaillent d’abord sur la classe ouvrière, notamment sous la direction de Jean-Claude Passeron à l’université de Vincennes, très proche de Pierre Bourdieu. Sans jamais avoir été leur élève, ils ne cachent pas leur fascination pour celui-ci et sa sociologie des dominations (économique, sociale, culturelle ou symbolique).

Ainsi, à plus de quarante ans, armés d’un simple cahier de notes, ils suivent avec une très grande assiduité les nombreuses années de cours au Collège de France donnés à partir de 1981 par l’auteur de La Distinction.

C’est donc à partir de la fin des années 1980 qu’ils vont changer d’objet d’études, décryptant désormais les classes dominantes, les concentrations et transmissions de richesses, les dominations symboliques de cette toute petite minorité ultra-privilégiée, leurs relais dans les médias, la culture, les arts, etc.

Retraités depuis 2007, ils s’embarrassent moins des contraintes académiques et leurs ouvrages, néanmoins toujours rigoureux, prennent souvent des accents plus politiques et revendicatifs – contrairement à ce qu’écrivent à leur encontre certains journalistes en vogue, trouvant plus « scientifiques » les sorties de Finkielkraut ou de Luc Ferry.

© Politis

C’est sans doute que, pour ces gens, des sociologues ne cachant pas leur engagement à gauche, longtemps compagnons de route du PCF, perdent en scientificité, surtout lorsqu’ils pointent les travers et autres petits arrangements des dominants, dans cette France où ceux-ci n’ont jamais été puissants ni aussi riches.

Violence des riches

Leur premier ouvrage sur le sujet, qui fit date, s’intitulait Dans les beaux quartiers (PUF, 1989). Mais parmi les livres de la dernière période, véritables succès de librairie, on se souvient de Châteaux et châtelains : les siècles passent, le symbole demeure (Anne Carrière, 2005), Le Président des riches (sur Sarkozy, La Découverte, 2010) suivi par Le Président des ultra-riches : chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron (La Découverte, 2019).

Lire aussi > Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon : « La guerre aux salariés va continuer » (2013) et « Copains de classe puis copains de caste » (2013) ou encore « Les riches s’éclatent toujours » (2015).

Et on citera aussi La Violence des riches (Zones, 2013), sorte de manifeste de leur inlassable dénonciation des mépris et violence de classe, toujours plus vifs ces derniers temps. Dans leur dernier ouvrage, publié il y a un an, Notre vie chez les riches (Zones), ils nous livraient « leurs mémoires » à l’heure où Michel perdait la sienne. Et clôturaient ainsi d’une autobiographie ponctuée d’anecdotes truculentes leur abondante production.

Michel Pinçon va beaucoup manquer dans la documentation des actes et des secrets des dominants. Profondément attristé, tout Politis, qui lui avait souvent donné la parole et accompagné des documentaires qui leur étaient consacrés, présente ses sincères amitiés et condoléances à Monique et à tous les proches et camarades de Michel.


À voir ou revoir ci-dessous, l’entretien que le couple de sociologues de la grande bourgeoisie avait accordé à Politis en 2017, analysant la trajectoire d’Emmanuel Macron, « mandaté par la classe dominante pour donner un grand coup de balai sur les divisions politiques, qui paralysent les intérêts de l’oligarchie ». L’interview est également retranscrite ici.

Idées
Temps de lecture : 4 minutes
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