Les projets de Macron pour faire trimer plus
Âge de la retraite, droits des chômeurs, lycées professionnels… La Macronie engage une régression sociale à marche forcée.
dans l’hebdo N° 1724 Acheter ce numéro
Au lendemain de sa réélection, Emmanuel Macron prétendait avoir changé. Il n’en est rien. Si le président des riches a joué de lenteur pour former les gouvernements Borne I et II, donné ensuite l’impression de marquer une pause en s’abstenant de convoquer en septembre une session extraordinaire du Parlement, il sonne désormais la charge.
Le 12 septembre, lors d’une rencontre avec des journalistes de la presse présidentielle, le chef de l’État a réaffirmé sa volonté de voir la réforme des retraites entrer en vigueur dès l’été 2023. Le lendemain, à l’issue de la visite d’un lycée des métiers, il levait le voile sur sa réforme de la voie professionnelle, présentée comme un « chantier essentiel » de son second quinquennat.
Le 6 septembre, le conseil des ministres avait adopté un énième projet de loi réformant l’assurance-chômage. Trois chantiers à forte tonalité antisociale, dictés par l’obsession élyséenne d’adapter le marché du travail aux desiderata du patronat et aux recommandations de la Commission européenne.
Retraites : travailler plus longtemps pour payer les baisses d’impôts
Oubliée, l’ambition de la réforme systémique de 2019, adoptée en première lecture à l’Assemblée grâce à l’article 49.3 de la Constitution – qui permet au gouvernement de faire passer un texte, sans vote, si une motion de censure n’est pas adoptée –, mais stoppée par la pandémie de covid-19. Désormais, Emmanuel Macron veut aller au plus vite avec une simple réforme paramétrique.
En campagne pour sa réélection, il s’est engagé à repousser à 65 ans l’âge de départ en retraite en 2030, à raison de « quatre mois par an » jusqu’au « milieu des années 2030 », avant de concéder que 64 ans en 2027, avec une clause de revoyure, ferait l’affaire. Ce qui ne changeait rien au fond : il s’agit toujours de « travailler plus longtemps ». Une nécessité « dans une nation où on vit plus vieux et on entre plus tard en moyenne dans la vie active », martèle le gouvernement, conscient que sa réforme régressive risque de se heurter à une opposition massive.
En clair, c’est aux salariés de payer les cadeaux fiscaux consentis depuis 2017.
D’autant que rien dans le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites ne l’impose, contrairement à ses affirmations. Rien, sinon ses choix politiques. En ne voulant ni creuser davantage la dette publique, ni augmenter les impôts, « on ne peut jouer que sur la durée de travail »pour financer le système de retraites, a admis, lundi, le rapporteur général du budget, Jean-René Cazeneuve, député Renaissance du Gers. En clair, c’est aux salariés de payer les cadeaux fiscaux consentis depuis 2017 et dont les plus grands bénéficiaires sont les 10 % les plus riches et les grandes entreprises. Comment ?
Ni le fond, ni la forme, ni les modalités de la réforme n’ont été précisés. Report de l’âge légal ou allongement de la durée de cotisation ? Les ministres assurent que « les choses ne sont pas arrêtées », que les discussions se poursuivent et qu’il faudra « peut-être trouver un mixte des deux ».
Même le choix du véhicule législatif n’est pas tranché : un texte spécifique débattu début 2023 ou un amendement inséré dans le budget de la Sécu, présenté en conseil des ministres le 26 septembre, comme ne l’a pas exclu Emmanuel Macron, tenté par un passage à la hussarde ?
Cette dernière hypothèse, qui permettrait au gouvernement de ne pas gaspiller un droit à l’utilisation de l’article 49-3 – limité à un seul texte non budgétaire par session parlementaire, soit jusqu’à fin juin –, hérisse les syndicats, qui menacent tous d’un conflit social. Elle divise aussi les ténors de la majorité. C’est le cas de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, mais aussi de François Bayrou.
Sur les retraites, l’Élysée a d’ores et déjà renoncé aux « compromis constructifs ».
« Le passage en force, a tonné le président du Modem dans Le Parisien, c’est le contraire de l’esprit du Conseil national de la refondation (CNR), qui réclame d’examiner les problèmes ensemble. » Le CNR, dont le secrétariat général a été attribué à M. Bayrou, était censé symboliser la « méthode nouvelle »du gouvernement, promise par Emmanuel Macron à sa réélection. Sur les retraites, l’Élysée a d’ores et déjà renoncé aux « compromis constructifs ».
Stéphane Séjourné, le nouveau commis de Macron à la tête du parti présidentiel, peut bien assurer sur RTL qu’« il y aura un débat au Parlement », ce débat ne sera pas le même si la réforme des retraites fait l’objet d’un projet de loi spécifique ou d’un amendement dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS).
Dans ce cas, la discussion parlementaire sera réduite à peau de chagrin, alors qu’un projet de loi doit être accompagné d’une étude d’impact, faire l’objet d’une discussion générale dans laquelle les oppositions peuvent développer publiquement leurs arguments et contre-propositions, y compris en présentant une motion de rejet et une motion de renvoi en commission. Discuter de l’opportunité de chacune de ses voies parlementaires n’est donc pas un « simple débat de forme »(Stéphane Séjourné), mais bien un indicateur du degré de verticalité du pouvoir.
Lycées professionnels : moins d’heures d’enseignement pour plus de stages
La réforme du lycée professionnel est une des « réformes phares » qu’Emmanuel Macron revendique de mener. Alors même qu’il en a déjà mené une lors du premier quinquennat et qu’aucun bilan n’en a encore été tiré. Le chef de l’État, flanqué du ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, et de la ministre chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, Carole Grandjean, en a présenté lui-même les grands jalons lors d’un déplacement aux Sables-d’Olonne (Vendée).
Le président veut notamment « revoir la carte [des] formations » : « Il y a des formations qui ne correspondent plus aux besoins, et [il faut] donc fermer certaines formations et en ouvrir d’autres », a-t-il déclaré. Pour la méthode, il promet – une fois de plus – « un énorme travail de concertation » qui va « partir du terrain » avec « tous les partenaires » de l’Éducation nationale, directeurs d’établissement, enseignants, élèves, parents, collectivités locales et… entreprises.
Emmanuel Macron veut avoir un système qui se rapproche de l’apprentissage.
Un point inquiète plus encore les syndicats de l’enseignement professionnel : la volonté présidentielle d’augmenter les temps de stage « d’au moins 50 % ». Il faut « avoir un système qui se rapproche de l’apprentissage », a lancé Emmanuel Macron. Ce « qui suppose de repenser ensemble une meilleure organisation du temps d’apprentissage scolaire pendant la période », en « dédoublant peut-être mieux les classes », a-t-il poursuivi, soulignant vouloir « laisser aux enseignants plus de latitude et de liberté ».
Dans un moment de rare unanimité, les syndicats ont dénoncé une « menace forte » et un « projet de désorganisation de la voie professionnelle scolaire ». Et prévu de se réunir le 22 septembre en vue d’une éventuelle mobilisation.
Assurance chômage : une moindre protection pour travailler plus
Présenté comme « une première étape dans les adaptations législatives visant à lever les freins au plein-emploi » et adopté en conseil des ministres le 7 septembre, le projet de loi « portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein-emploi » cache sous cet intitulé consensuel, un véritable coup de force.
L’article 1er du projet de loi, indique l’exposé des motifs, « confie temporairement au gouvernement la définition des mesures d’application du régime d’assurance chômage par décret en Conseil d’État ». Afin de prolonger les règles actuelles « au plus tard jusqu’au 31 décembre 2023 ».
D’ici là, et c’est l’autre point qui suscite la colère des syndicats, il n’est plus question de négociations avec les partenaires sociaux, mais de « concertations nécessaires sur l’évolution des règles d’indemnisation » sur la base du projet d’Emmanuel Macron : ajuster les règles d’indemnisation des chômeurs en fonction de la conjoncture économique, sur le modèle canadien.
Les chiffres d’emplois non pourvus sont une invention totale.
« Quand les choses vont très bien, il faut que les règles soient plus incitatives et quand les choses vont moins bien, il faut qu’elles soient plus protectrices », a résumé Olivier Dussopt, le ministre du Travail, sur France Info. L’idée, complaisamment portée par ses relais médiatiques à coups de fake news (1), est qu’un système trop protecteur n’est pas de nature à lutter contre les pénuries d’emplois qui menacent la croissance.
Alors que l’entrée en vigueur progressive de la réforme de 2019 s’est déjà soldée par un « effondrement des indemnités chômage », rappelle le Comité national CGT des travailleurs privés d’emploi et précaires, lancer une deuxième réforme sans même avoir de bilan chiffré sur la première est « absurde ».
« Les chiffres d’emplois non pourvus sont une invention totale », dénonce le sociologue du travail et député LFI Hadrien Clouet auprès de Mediapart : « L’objectif du gouvernement n’est pas le retour du plein-emploi, mais la baisse des salaires. »
Une analyse partagée par Stéphane Peu. « La réforme vise à baisser les allocations pour faire accepter n’importe quel boulot à n’importe quel prix », estime le député PCF de Seine-Saint-Denis dans un tweet où il note que les « salariés, précaires et chômeurs » devront la « combattre ensemble ». Contre les trois projets de Macron, il y aura en effet bien besoin d’unité syndicale et politique.
(1) Un mensonge répété à plusieurs reprises sur LCI, qui obtient la palme de la désinformation pour avoir diffusé le 12 septembre, dans l’émission de David Pujadas, un visuel comparant les revenus de deux couples similaires. Le couple de chômeurs ressortait gagnant de 44 euros ; des contre-démonstrations ont prouvé qu’en réalité, la différence serait d’au moins 1 000 euros en défaveur des « assistés ».