« Moonage Daydream » de Brett Morgen : continuer de rêver avec Bowie

Un portrait intérieur de l’auteur d’« Ashes to Ashes » et de son univers, à la manière d’un trip halluciné.

Christophe Kantcheff  • 20 septembre 2022 abonné·es
« Moonage Daydream » de Brett Morgen : continuer de rêver avec Bowie
© David Bowie en 1973, durant la période Ziggy Stardust. (Photo : Universal.)

Je suis un collectionneur de personnages, d’idées, etc. » C’est à partir de ce propos de David Bowie que Brett Morgen semble avoir conçu le film qu’il lui consacre. Inutile de compter le nombre d’images issues de films, peintures, photographies ou dessins qui passent devant les yeux du spectateur de Moonage Daydream – titre d’une chanson de Bowie sur l’album The Rise and Fall of Ziggy Stardust and The Spiders From Mars (1972). L’effet est quasi hallucinatoire : ce déferlement visuel, tissé avec de nombreux extraits de concerts et de prises de vues inédites, prend des allures de trip psychédélique.

Moonage Daydream, Brett Morgen, 2 h 20.

On dénoncerait le cliché (le rock, la drogue) s’il ne s’agissait de Bowie. On sait que l’homme maniait les images avec dextérité : outre le travail sur sa propre apparence, il peignait, réalisait des courts-métrages expérimentaux, et certains de ses clips, encore aujourd’hui, restent ­impressionnants (tels ceux de « The Hearts Filthy Lesson » ou de « Lazarus »).

© Politis

Avec ces visions qui pourraient être les projections mentales d’un homme nourri aux œuvres picturales et cinématographiques, c’est comme si on pénétrait dans le cerveau du Bowie artiste. Autant dire que Moonage Daydream se situe aux antipodes du biopic.

Ce qui intéresse Brett Morgen, c’est la personnalité de David Bowie et non la personne David Robert Jones (son vrai nom). Quasiment rien sur sa famille, très peu sur son enfance. Le film commence au début de la décennie 1970, quand Bowie s’est mis dans la peau de Ziggy Stardust, puis suit la chronologie de ses différentes périodes jusqu’aux dernières années, en passant par le séjour berlinois ou les années disco.

Présenté au dernier Festival de Cannes hors compétition, Moonage Daydream n’a pas toujours été bien reçu. On a reproché à l’œuvre son aspect boursouflé, sentencieux. Le danger, avec Bowie, figure centrale, influente et inspirante de la scène rock durant un demi-siècle, était de l’aborder comme un monument à la manière d’un fan pétrifié. De ce point de vue, l’ouverture du film ne rassure pas. Une citation de l’auteur de « Heroes » sur la mort de Dieu avec Nietzsche en renfort laisse craindre le pensum métaphysique. Heureusement, on redescend vite sur terre. Mais pas dans la fabrique Bowie, pas là où il concevait sa musique.

Portrait impressionniste

Au fond, même s’il regorge de morceaux du maître, Moonage Daydream n’est pas un film musical au sens strict. Encore moins un film pour spécialistes (ils n’apprendront rien). Le portrait impressionniste qui en émane est déterminé par le regard du cinéaste. Dont on décèle les préférences. Exemples avec l’accent porté sur l’androgynie de Ziggy, marquant une distance avec le public (« Je me suis caché derrière des personnages », dira Bowie), et l’humour dont il usait à ce sujet ; ou son départ pour Berlin témoignant de sa faculté de rupture avec ce qui constituait son succès et de sa capacité à se réinventer.

Le cinéaste n’ignore pas les périodes plus faibles où Bowie s’est soumis à l’industrie culturelle.

Brett Morgen n’est pas imperméable à la mythologie dispensée par la star. Il la montre ainsi quasiment toujours seule, son entourage musical étant absent du film. Pour autant, le cinéaste n’ignore pas les périodes plus faibles – les années disco, notamment –, où Bowie s’est soumis à l’industrie culturelle. La présence de la marque Pepsi dans un clip suggère l’homme d’affaires. On l’entend dire : « Le plus important n’est pas le message – car ce que je peux dire a très certainement déjà été dit – mais le divertissement. » On est alors loin de Nietzsche.

Il reste toutefois évident que le cinéaste a été touché par la forme de sagesse qui a gagné David Bowie, l’âge venant. « Tout est fugace, en évolution », souffle celui-ci. Et maintenant qu’il n’est plus (depuis le 10 janvier 2016), ses propos ne sont pas sans provoquer une certaine émotion. Ainsi, ce précepte que l’artiste, en vieillissant, oppose à la mort, devenue une idée plus concrète : « Il ne faut pas cesser de marcher. » Bowie, enfin, confesse : « J’aimerais revivre ma vie. Elle a été extraordinaire. » Son œuvre aussi, dont Moonage Daydream offre une vision singulièrement vibrante.

Musique
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