Quand Poutine inquiète même ses amis
La position du dirigeant du Kremlin s’affaiblit, entre une mobilisation partielle qui risque de mobiliser l’opinion publique contre lui, et des alliés internationaux qui prennent leurs distances.
dans l’hebdo N° 1725 Acheter ce numéro
Comme les États-Unis avaient fini par perdre la guerre du Vietnam à Washington, la Russie de Poutine est peut-être en train de perdre la guerre d’Ukraine à Moscou. Bien entendu, c’est d’abord la résistance des Ukrainiens, comme jadis celle des Vietnamiens, qui produit cet effet boomerang. Et ce n’est pas la mitraille qui s’abat sur les villes et les campagnes russes, mais une crise de conscience potentiellement dévastatrice pour le régime.
Car c’est un fait que la « mobilisation partielle », décrétée par Poutine le 21 septembre, a créé au cœur de la société russe un malaise qui ne peut plus être qualifié de marginal. La guerre qui paraissait lointaine, indéchiffrable, et qu’une propagande mensongère était parvenue à justifier, frappe désormais toutes les familles. Et plus encore dans les régions de Sibérie, savamment discriminées pour recruter parmi les plus pauvres. L’exode massif vers les pays voisins témoigne d’une révolte dont nul ne peut encore prévoir les effets au sommet du pouvoir.
Mais l’affaire tourne malaussi au plan géopolitique. L’un des enjeux de l’Assemblée générale de l’ONU qui se tenait la semaine dernière à New York était, pour les Américains et les Européens, de convaincre les « non-alignés » et la Chine. Tous ceux, nombreux, qui, pour différentes raisons, idéologiques, économiques ou historiques, se refusent à adhérer au narratif occidental.
L’Inde et la Chine prennent leurs distances
Dans cette bataille menée par Joe Biden, et dans laquelle Emmanuel Macron a joué un peu théâtralement la mouche du coche, les Occidentaux ont marqué des points. Le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, n’a pas seulement appelé « à la cessation des hostilités », il a affirmé que « l’Inde est du côté du respect de la charte des Nations unies et de ses principes fondateurs ».
Une formule qui sonne comme un désaveu pour Poutine. Il s’agit d’une évolution importante venant d’un pays dirigé par le populiste Narendra Modi, qui a pourtant tout pour plaire à Vladimir Poutine. Ça se complique aussi du côté de Pékin, où l’on veut bien faire les guerres que l’on choisit, pas celles imposées par un « ami » incontrôlable. Xi Jinping ne connaît peut-être pas le cardinal de Retz, mais il sait qu’on ne peut sortir de l’ambiguïté qu’à ses dépens.
Son ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, a donc appelé à « un dialogue sans préconditions afin de ramener la paix » – ce qui peut s’adresser autant à Kiev qu’à Moscou. Mais il a surtout souligné « l’attachement de son pays à la souveraineté et à l’intégrité territoriale ». Ce qui marque clairement une prise de distance avec Moscou. Ne cherchez pas d’incohérence, puisque, vu de Pékin, Taïwan, c’est la 23e province…
C’est plus compliqué avec les pays africains, dont la position est indexée sur le prix des matières premières – 18 d’entre eux importent au moins la moitié de leur blé d’Ukraine et de Russie –, et pour lesquels le colonialisme occidental n’est pas seulement un mauvais souvenir, mais une réalité bien actuelle dans des formes renouvelées. On se souvient que lors de la précédente Assemblée, en mars, seuls 28 des 54 pays africains avaient voté la résolution condamnant l’invasion russe.
Il faut prendre la pleine mesure des enjeux de cette guerre, qui n’a pas seulement une dimension géopolitique. Elle a aussi, et peut-être surtout, un contenu idéologique et culturel.
En vérité, ce qui fait bouger les lignes, ce n’est pas tant la force de persuasion de Joe Biden que l’aventurisme de Vladimir Poutine. Les référendums d’annexion organisés en hâte dans les régions conquises militairement, qui visent à transformer grossièrement une agression en guerre défensive, et la menace qui va de pair de recourir à l’arme nucléaire ont de quoi semer le doute parmi les mieux disposés à l’égard de Moscou. Les ambitions impériales de Poutine valent-elles que l’on déclenche l’apocalypse nucléaire ?
Voilà donc beaucoup d’arguments qui témoignent de l’affaiblissement de la position de Vladimir Poutine. Mais il faut prendre la pleine mesure des enjeux de cette guerre, qui n’a pas seulement une dimension géopolitique. Elle a aussi, et peut-être surtout, un contenu idéologique et culturel. Vladimir Poutine rêve d’imposer un contre-modèle à l’Occident « décadent ». Cela veut dire des valeurs ultraconservatrices, souvent appuyées sur un fort pouvoir religieux, et une haine absolue de la démocratie.
Brochette de dictateurs
Pendant l’Assemblée de l’ONU se tenait à Samarcande le sommet de l’Organisation dite « de coopération de Shanghai », inaugurée en 2001. Il y avait là une belle brochette de dictateurs autour de Poutine. À commencer par l’Iranien Ebrahim Raïssi, occupé à massacrer les femmes et la jeunesse de son pays. Il y avait également Narendra Modi, prudent quand il s’agit de l’Ukraine, mais pratiquant chez lui un violent racisme d’État contre les musulmans, et évidemment Xi Jinping, qui tient les Ouïgours en esclavage. Leurs modèles de société ne font pas envie.
Mais ne nous y trompons pas. Ils ont leurs relais au cœur même de l’Europe. Viktor Orban bien sûr, le Hongrois, et maintenant Giorgia Meloni, grande triomphatrice des élections du 25 septembre en Italie. Moralité : le positionnement de chacun dans la guerre d’Ukraine n’explique pas tout.
La post-fasciste italienne se dit hostile à l’invasion russe, mais ses valeurs ultraconservatrices et nationalistes ne sont pas très éloignées de celles de Poutine. Elle n’adhère pas à l’ambition impérialiste du maître du Kremlin, mais adhère à sa guerre culturelle. Celle qui se nourrit des injustices économiques et sociales de l’Occident libéral.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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