Roussel, seul contre son camp

En reprochant à la gauche de défendre les allocations plutôt que le travail, le patron du PCF a une nouvelle fois séduit la droite et suscité l’ire des membres de la Nupes.

Michel Soudais  • 13 septembre 2022 abonné·es
Roussel, seul contre son camp
© Julien Bayou (EELV), Fabien Roussel (PCF), Olivier Faure (PS) et Mathilde Panot (LFI) lors de la Fête de l'Huma, le 10 septembre 2022. (Photo : Serge Tenani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.)

La guerre aura-t-elle lieu » entre la « gauche du travail » et la « gauche des allocs », se demande avec gourmandise Le Figaro ? Au lendemain de la Fête de l’Humanité, l’éditorialiste politique de RTL décelait, pour s’en réjouir, l’existence de « beaucoup plus de gauches irréconciliables » que n’en avait pointé Manuel Valls. En cause, une petite phrase de Fabien Roussel lancée devant quelques journalistes qu’il accueillait au premier jour de la fête : « La gauche doit défendre le travail et le salaire, et ne pas être la gauche des allocations, minima sociaux et revenus de substitution », leur a-t-il déclaré.

Réélu député en juin, il venait de leur dire sa fierté d’avoir remporté l’une des « quinze circonscriptions les plus fortes de l’extrême droite », celle de Saint-Amand-les-Eaux (Nord) où, « pour être rescapé », il lui a fallu entendre « les Français [qui] nous parlent d’assistanat en nous disant qu’ils travaillent et que [les bénéficiaires de minima sociaux] ne travaillent pas ». Les entendre, mais aussi les conforter dans leurs idées : « Je ne suis pas pour une France du RSA et du chômage », a-t-il insisté.

François Ruffin se désolidarise

Cette énième sortie choc du secrétaire national du PCF laissant entendre que la gauche se complaisait dans l’assistanat a immédiatement suscité la réprobation unanime de ses alliés de la Nupes. « Nous ne pouvons combattre la droite et l’extrême droite en reprenant leurs mots », lui a notamment lancé Mathilde Panot (LFI), tant il est vrai que la « triangulation » qui consiste, quand on est un responsable de gauche, à se positionner sur les options de droite qui semblent les plus partagées par l’opinion n’a jamais fait qu’aggraver l’emprise du discours de droite sur les consciences.

François Ruffin, qui avait pourtant lancé le débat – formalisé dans son livre Je vous écris du front de la Somme (éd. Les Liens qui libèrent) qui vient de paraître – en rapportant avoir entendu sur sa circonscription des critiques sur une gauche perçue comme soutien des « assistés », s’est vivement désolidarisé de Fabien Roussel dans un tweet. « Opposer “la France qui bosse” à “la France des allocs”, ce n’est pas le combat de la gauche, ce ne sont pas mes mots. Les assistés sont là-haut, gavés de milliards par Macron : c’est notre travail politique quotidien que d’unir le bas contre le haut. »

Le numéro un du PCF estime bien que les allocations-chômage et le RSA nourrissent le chômage. C’est exactement l’argument avancé par Emmanuel Macron et le gouvernement.

Fabien Roussel peut bien prétendre qu’on l’aurait mal compris, que son expression contre les « allocs » concernait le long terme et exprimait le souhait d’« une société où il n’y a plus d’allocations, de primes, mais des salaires » qui permettent de vivre, toutes ses dénégations s’effondrent quand, au JT de TF1, dimanche midi, il affirme vouloir « mettre fin à un système qui nourrit le chômage par les allocations-chômage et le RSA ». Le numéro un du PCF estime donc bien que les allocations-chômage et le RSA nourrissent le chômage. C’est exactement l’argument avancé par Emmanuel Macron et le gouvernement pour justifier un durcissement des règles d’indemnisation des chômeurs, le système actuel étant, à leurs yeux, trop protecteur pour lutter contre les pénuries de main-d’œuvre.

Un entêtement qui pose problème

Or, au moment où Fabien Roussel soignait sa droite devant quelques journalistes, l’ensemble des syndicats nationaux et les principales associations de jeunesse dénonçaient dans un communiqué commun (1) la volonté de réformer l’assurance chômage en « diminuant [les] droits à l’indemnisation », ce qui est, selon eux, « injuste » et « inefficace ». « Cela risque d’accentuer la précarité, notamment des jeunes, alors que seul le taux de chômage de ces derniers a augmenté de 1,3 point ce trimestre », pointent les treize organisations signataires.

Si « les employeurs peinent aujourd’hui à recruter, c’est d’abord parce qu’ils ne trouvent pas les qualifications et les compétences qu’ils recherchent », poursuivent-elles, et parce que « les conditions de travail ou d’emploi proposées […] posent problème : salaires trop bas, horaires atypiques ou imprévisibles, mauvaises conditions de travail, contrats très courts, difficultés liées au mode de transport… »

À l’heure où l’ensemble des forces de la Nupes cherchent à opposer un front commun politique et syndical aux projets du gouvernement sur l’assurance-chômage, le RSA et les retraites, les déclarations de Fabien Roussel font tache. Et son entêtement à ne rien regretter, à vouloir « enfoncer le clou », exprimé lundi au micro de Sud Radio, pose problème.


(1) Ce communiqué est signé de toutes les centrales syndicales (CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC, FSU, Solidaires et Unsa) et de cinq organisations d’étudiants et de lycéens (Unef, FIDL, MNL, VL, Fage).

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