Une réforme de l’assurance-chômage brutale et déconnectée du réel
Le gouvernement souhaite mettre en place un système de « contracyclicité » visant à adapter les règles d’indemnisation en fonction de la conjoncture économique.
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Rétablir une assurance-chômage protectrice Contre le chômage, taper sur les chômeursContracyclicité. Un mot compliqué pour un principe qui l’est beaucoup moins. Une assurance-chômage « plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus, plus généreuse quand le chômage est élevé », pour reprendre les termes d’Emmanuel Macron. Voici, en résumé, ce que prépare le gouvernement. À l’heure actuelle, les détails de la mesure n’ont pas encore été révélés. Quels seront les indicateurs permettant de déterminer si la conjoncture est « bonne » ou « mauvaise » ? Quels paramètres ces indicateurs feront-ils varier ? La durée d’indemnisation ? Les critères d’éligibilité ?
Le gouvernement a assuré d’une chose : il ne touchera pas au montant de l’indemnité. Un simple argument de communication, selon la sociologue du travail Claire Vivès. « Si vous faites varier les critères d’éligibilité, par exemple, une personne qui toucherait une allocation lorsque la conjoncture est mauvaise pourrait ne pas la toucher lorsque celle-ci est bonne. Donc, de fait, ça affecte son revenu. »
Plus que sur les détails techniques, c’est sur le principe même que de nombreux chercheurs du monde du travail sont critiques. « L’assurance-chômage est une protection individuelle : vous remplissez des conditions pour avoir le droit d’être indemnisé. Ce droit à la protection est indépendant de la conjoncture », souligne Claire Vivès.
Déconnexion complète
Un argumentaire complété par Mathieu Grégoire, également sociologue du travail : « Ce n’est pas parce que votre voisin trouve un travail qu’on devrait vous punir de ne pas en trouver. Dans ce raisonnement, il n’y a pas de différence entre les statistiques nationales et les réalités individuelles. On est dans une déconnexion complète. »
Les doctorants ne trouvant pas tout de suite un poste devraient donc subir une baisse de leur assurance-chômage parce qu’il y a des tensions de recrutement dans le secteur de l’hôtellerie ?
Il prend un exemple pour illustrer son propos. « Autour de moi, j’ai des doctorants qui ne trouvent pas tout de suite un poste de maître de conférences à la fin de leur doctorat. Et on devrait leur faire subir une baisse de leur assurance-chômage parce qu’il y a des tensions de recrutement dans le secteur de l’hôtellerie ? C’est extrêmement brutal comme raisonnement. »
À ce stade, tout semble indiquer que les indicateurs économiques retenus pour qualifier la conjoncture seront larges et donc très éloignés des réalités du terrain. « Je suis plutôt favorable à ce que l’on prenne quelque chose de simple, de transparent et d’assez stable du point de vue de la construction méthodologique de l’indicateur : c’est le taux de chômage au sens du BIT », a ainsi affirmé le rapporteur de la réforme et député Renaissance Marc Ferracci dans une interview à Ouest France.
Pousser les allocataires vers les secteurs moins attractifs
« Il est très significatif que le taux retenu soit celui du chômage global et non celui par secteur d’activité. En faisant cela, on cherche à pousser les allocataires vers d’autres secteurs que le leur, souvent les moins attractifs. Pour diminuer ces tensions sur le recrutement, soit vous améliorez les conditions de travail, soit vous contraignez les gens à y aller. Le gouvernement a choisi… » regrette Claire Vivès.
Dans une chronique publiée dans nos colonnes, l’économiste du travail Sabina Issehnane souligne aussi que l’assurance-chômage est déjà contracyclique de fait : « L’assurance-chômage [joue] son rôle de stabilisateur automatique durant les périodes de récession, en soutenant davantage de chômeurs indemnisés », écrit la chercheuse.
En creux, ces critiques questionnent le principe d’égalité face aux droits. « Une personne licenciée un jour n’aura pas les mêmes droits qu’une autre licenciée plus tard ? Cette rupture d’égalité pose question et, avec ce principe de contracyclicité, je ne vois pas comment on peut l’éviter », note Christine Erhel.
Une territorialisation aurait toutes les chances d’être censurée par le Conseil constitutionnel.
Pour expliquer cette réforme, le gouvernement cite régulièrement l’exemple du Canada, où ce dispositif est mis en œuvre de manière régionalisée. Une piste qui, a priori, ne sera pas retenue par l’exécutif, si l’on en croit Marc Ferracci. « Il y a encore des discussions sur ces sujets. Mais je vois plutôt des arguments en défaveur de la territorialisation des règles de l’assurance-chômage », explique-t-il à Ouest France, pointant justement ce phénomène de rupture d’égalité entre deux citoyens qui n’habiteraient pas dans la même région. Une territorialisation qui aurait par ailleurs toutes les chances d’être censurée par le Conseil constitutionnel.
Surtout, l’exemple canadien ne semble pas des plus parfaits. Dans un article très critique, Le Monde explique que le modèle a implosé sous l’effet de la crise sanitaire, obligeant le gouvernement à repasser, temporairement, sur des critères universels. Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a également promis de réfléchir à un nouveau système, qui serait enfin « digne du XXIe siècle ».