5 ans de #MeToo : « Ce n’est pas la culture qui m’a sauvée, mais la lutte »
Victime de violences sexistes et sexuelles, Marie Coquille-Chambel est devenue une figure du mouvement #MeTooThéâtre.
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Dans son petit appartement juché au dernier étage d’un immeuble parisien, Marie Coquille-Chambel sourit entre deux taffes de cigarette. Quand on lui demande comment elle va, son regard se fige quelques secondes, puis son sourire s’élargit : « Ça va ! » lance-t-elle, fière comme au lendemain d’une bataille. En plus d’être doctorante et pionne, celle qui fut critique de pièces de théâtre sur YouTube est au cœur des luttes féministes. À 24 ans, cofondatrice du collectif La Relève féministe (1), Marie est l’un des principaux visages du mouvement #MeToo en France. Celui de #MeTooThéâtre, lancé avec d’autres femmes en octobre 2021.
Son combat commence en 2020. Lors du premier confinement, Marie Coquille-Chambel a vécu l’enfer. À trois reprises, « j’ai été frappée, balance-t-elle, stoïque. Coups de poing au visage, dans les côtes, dans le dos quand j’étais à terre, coups de livre, de chaussure. Il m’a tirée par les cheveux, m’a jetée au sol, a tenté de m’étrangler. » « Il » était son compagnon. Un acteur de la Comédie-Française rencontré via Instagram.
Marie commence à se faire connaître du milieu par ses critiques sur les réseaux. L’homme de 47 ans l’invite à une « couturière » – l’avant-dernière répétition d’une pièce de théâtre, juste avant la générale. Puis il lui propose d’aller boire un verre. Ainsi commence une relation. Progressivement, l’homme isole Marie de sa famille et de ses amis. Sa vie ne tourne alors plus qu’autour de lui. « Le mécanisme d’emprise opère assez rapidement, à partir du moment où l’autre te dévalorise constamment et t’empêche de faire certaines choses. »
Ne plus subir
Pourtant, deux mois après le début de leur relation, la jeune femme porte plainte pour menaces de mort. « Il m’a dit qu’il allait m’arracher la joue », se souvient-elle. Mais elle retire sa plainte, « par amour », et la relation redémarre comme si de rien n’était. Vient le confinement. Entre l’enfermement et l’alcool, la violence verbale devient physique, jusqu’au viol.
« Je me répétais sans cesse que je ne pouvais pas être une femme battue », se souvient-elle. Les coups lui marquent pourtant le corps. Son visage est tuméfié, sa lèvre en sang, ses jambes couvertes d’hématomes. Elle a gardé de ces instants les mots de son agresseur gravés sur les bandes d’un dictaphone. « Pour la première fois de ta vie, tu vas aimer la vie ! Tu vas voir comme c’est beau, la vie, quand tu vas la perdre. […] Profite de tes derniers instants. Tu ne veux pas en profiter ? […] Tu ne veux pas que je filme ton assassinat ? Comme ça tout le monde saura ce qu’il s’est passé. »
Lors du dépôt de plainte, les photos de son corps meurtri ne sont pas ajoutées au dossier, la déposition d’un proche est évincée.
Le 29 juin 2020, elle publie son témoignage sur Twitter, qui sera partagé plus de 3 000 fois. Le même jour, elle porte à nouveau plainte. « Les violences se répétaient, ça devenait trop dangereux. Mes amis commençaient à avoir vraiment peur pour moi. » Au commissariat, elle comprend qu’en plus des violences conjugales, elle va être « victime d’une société patriarcale ». Lors du dépôt de plainte, les photos de son corps meurtri ne sont pas ajoutées au dossier, la déposition d’un proche est évincée.
En parallèle, son agresseur contre-attaque et dépose plainte pour « atteinte à la présomption d’innocence » contre Marie et un proche soutien, David Bobée, directeur du Théâtre du Nord à Lille. « C’était pour des messages sur Internet et, notamment, une cagnotte lancée pour m’aider à payer mes frais de justice. »
Elle est innocentée, mais David Bobée est condamné à payer une amende. La justice a estimé que « la publication portait atteinte à la présomption d’innocence ». En mai 2021, le comédien est pourtant condamné à 6 mois de prison avec sursis et 2 ans d’interdiction d’approcher la jeune femme. Celle-ci a aussi porté plainte pour viol. Sa première audition n’a eu lieu qu’en septembre dernier.
« Aller à la bagarre »
Durant cette période, Marie Coquille-Chambel survit, étouffée par la peur, et enchaîne les crises d’angoisse. « Comment peut-on aller bien en construisant sa vie d’adulte sur de la violence physique, sur de la violence psychologique et sexuelle ? Comment peut-on aller bien en construisant sa vie d’adulte sur les procédures judiciaires, qui sont des outils à broyer à la disposition des hommes ? »
À l’époque, la Comédie-Française avait réagi, se disant « profondément choquée » par ces faits, prétendant soutenir la démarche de la victime et prendre « toutes les mesures qui s’imposent ». Deux ans plus tard, l’agresseur est toujours membre de la troupe. Contactée, la Comédie-Française n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Pour Marie, la célèbre institution a préservé son agresseur. « C’est symptomatique des petits milieux comme celui du théâtre, où tout le monde se protège et utilise son réseau. Tout se sait, il ne faut pas faire de vagues, mais plutôt taire les affaires. »
Je me suis dit que le collectif passait avant mon histoire personnelle, au risque de foutre en l’air ma procédure judiciaire.
En octobre 2021, la jeune femme décide « d’aller à la bagarre » et lance avec des amies le hashtag #MeTooThéâtre. Le collectif du même nom émerge. Dans la vague de libération de la parole et son cortège de mouvements dénonçant les dérives particulières de certains milieux, « le théâtre se devait d’être là ». Le premier témoignage publié sera le sien. « J’avais peur, mais je me suis dit que le collectif passait avant mon histoire personnelle, au risque de foutre en l’air ma procédure judiciaire », précise la militante en enroulant ses cheveux roux autour de ses doigts.
Rapidement, Marie Coquille-Chambel est de toutes les manifestations et assume sa médiatisation. « Mon témoignage a tout de suite été relayé, je recevais beaucoup de messages de soutien mais, en réalité, j’étais très seule. » La lutte vient ainsi se glisser dans son quotidien, entre une thèse sur le théâtre décolonial en France et un petit boulot d’assistante d’éducation dans un collège parisien. Elle porte tout à bout de bras.
Ne plus se taire
Mais la militante a la rage. Une furieuse envie de « péter des gueules », dit-elle en souriant. « Pour les autres, pour qu’elles ne vivent pas la même chose. Et puis, en fait, ça te soigne. » Une phrase de Baudelaire lui revient souvent quand elle évoque son combat : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. »
Paradoxalement, dans cette guerre, Marie Coquille-Chambel trouve la paix. « Au bout d’un moment, on arrête d’essayer de comprendre pourquoi on a vécu cette violence. On apprend à se pardonner, et surtout à se construire une carapace face aux autres violences. » Une carapace qu’elle ne souhaite à personne, mais elle n’a « pas le choix ». Aujourd’hui, la chercheuse est devenue une cible. « Je me suis habituée aux menaces de mort et à la sexualisation de mon corps sur Internet. Ça ne me fait plus rien », prétend-elle, comme pour se rassurer.
Je me suis habituée aux menaces de mort et à la sexualisation de mon corps sur Internet. Ça ne me fait plus rien .
Régulièrement, elle dépose plainte contre un homme qui la harcèle sur les réseaux sociaux. « Quand prendra-t-on au sérieux le cyberharcèlement ? », questionne-t-elle sur Twitter, agacée par la lenteur de la procédure, qui dure depuis un an. Le collectif MeTooThéâtre s’impose dans le milieu et se fait inviter chez les plus grands.
Pourtant, à la dernière cérémonie des Molières aux Folies-Bergère, en mai, leur discours est retoqué. Hors de question de se taire de nouveau : les filles clament leur texte devant l’entrée, face à des dizaines de manifestants. Dans cet élan, Marie Coquille-Chambel et ses « sœurs de lutte » publient, en juin, un recueil de textes (publié aux éditions Libertalia) reçus en soutien de leur première action publique. « On veut montrer que nous sommes toutes ensemble. »
Lors de la soirée de lancement, le 6 juin 2022, avec toute sa force retrouvée, elle lit son récit devant des dizaines de personnes et clame : « Ce n’est pas la culture qui m’a sauvée, mais la lutte. […] L’émancipation de ma condition de femme victime de violences conjugales et de viol se trouvait dans le militantisme. J’espère que d’autres trouveront cette voie de guérison par la quête de sens dans le combat. » Sauvée.
Quand on évoque ce mot, Marie Coquille-Chambel se détend. Alors que « ça ne fait que commencer », qu’un spectacle est en préparation et qu’elle devient petit à petit une figure de la lutte féministe, elle conclut en résumant son combat : « Je pense que ça m’a réparée. »
(1) Mouvement de féministes engagées à gauche, né dans le sillage de l’affaire Quatennens.