Au lycée Joliot-Curie de Nanterre,­ les pouvoirs publics attisent la colère

Après deux jours de blocus, 14 personnes – dont 10 lycéens – ont été mises en garde à vue mardi soir. Ce jeudi 13 octobre matin, des nouveaux affrontements ont éclaté entre forces de l’ordre et élèves. Plusieurs jeunes ont été interpellés. Ces évènements interviennent en pleine mobilisation de l’équipe enseignante contre la mutation du professeur de mathématiques Kaï Terada.

Pierre Jequier-Zalc  • 13 octobre 2022
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Au lycée Joliot-Curie de Nanterre,­ les pouvoirs publics attisent la colère
© Rassemblement en soutien à Kai Terada et au corps enseignant et contre la repression, le 11 octobre, à Paris. (Photo : Anna Margueritat / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.)

Cela fait 6 ans que je suis ici. Je n’avais jamais vu ça. Un tel déploiement de forces de l’ordre devant et même au sein de l’établissement, c’est inédit. » Camille Buquet est professeure d’anglais au lycée Joliot-Curie à Nanterre, représentante du personnels et syndiquée SNES-FSU. Quand elle raconte les évènements de ces dernières 72 heures, elle ne mâche pas ses mots.

Lundi 10 octobre au matin, plusieurs dizaines de lycéens ont décidé de bloquer leur établissement. Après cette première journée de blocus sans heurt, un important dispositif a été mis en place le lendemain pour empêcher toute tentative de blocage. Ce dispositif a créé des tensions, puis des heurts entre lycéens et policiers, chacun se renvoyant la balle sur la source des premiers affrontements.

Au Parisien, la préfecture de Nanterre assure que deux policiers ont été blessés. Les lycéens, de leur côté, écrivent avoir été victimes « de nombreux coups de matraques et de jets de lacrymogène ». Selon eux, « un élève est hospitalisé après avoir reçu un tir de LBD sur l’arrière du crâne ». 14 personnes, dont douze mineurs, ont été placées en garde à vue dans la foulée. Dix étaient des élèves du lycée.

Nouveaux affrontements, plusieurs jeunes interpellés

Mercredi, tous les gardés à vue sont sortis au compte-goutte jusque dans la soirée. Selon Libération qui cite le parquet de Nanterre, trois mineurs sont convoqués devant le tribunal pour enfants en décembre pour des faits de « violences aggravées sur personne dépositaire de l’autorité publique et avec arme ». Une bonne partie des élèves ne sont pas retournés en cours ce mercredi, les parents d’élèves ayant appelé à une « journée d’école morte ». « Hier matin, j’avais 2 élèves sur 15, un peu plus l’après-midi », souligne Camille Buquet.

À la base, cette mobilisation lycéenne avait une revendication principale : le retour de l’aide aux devoirs.

Ce jeudi matin, de nouveaux heurts ont éclaté devant le lycée comme en attestent des vidéos postées sur les réseaux sociaux. « C’est la guerre ouverte », raconte un témoin sur place qui assure qu’avec les évènements des derniers jours, la colère a grossi, entraînant des personnes extérieures au lycée. Selon nos informations, plusieurs jeunes ont été interpellés. Le lycée est fermé pour la journée.

L’instrumentalisation des revendications lycéennes

À la base, cette mobilisation lycéenne avait une revendication principale : le retour de l’aide aux devoirs. Depuis des années, plusieurs heures étaient proposées chaque soir par plusieurs enseignants pour accompagner les lycéens dans leur travail à la maison. Ce format a été supprimé l’an passé, « faute de moyens », explique Camille Buquet.

« Des professeurs ont essayé de déposer des projets pour que ce soit financé, mais ça n’a pas abouti. Clairement, la direction n’a pas poussé pour que ça se mette en place », soupire-t-elle. À Libération, le rectorat assure qu’un dispositif d’aide aux devoirs est toujours proposé. « C’est un membre de la vie scolaire, qui est à Polytechnique, qui l’anime sur ces heures de travail. Ça ne leur coûte rien », rétorque, amèrement, la professeure d’anglais.

La mobilisation ne porte pas sur les « vêtements amples ».

Mais malgré cette revendication première, et légitime des élèves, c’est un autre sujet qui fait l’objet de toute l’attention médiatique. « Depuis le début de l’année, les tenues vestimentaires des filles attisent les crispations. Les élèves ne comprennent pas les consignes car il n’y a pas eu de clarification claire », assure Camille Buquet.

Mais on ne parle pas du voile, ce n’est vraiment pas ça », souligne l’enseignante qui évoque des robes longues et des « tenues amples ». Dans un communiqué publié mercredi dans la soirée, des élèves se présentant comme « l’organisation pacifique lycéenne » ont démenti que ce sujet, largement repris par les réseaux d’extrême-droite, soit l’objet de leur mobilisation. « Les revendications se limitent à la reprise de l’aide aux devoirs au sein de l’établissement », écrivent-ils, dénonçant « des médias démunis de toute honnêteté ».

Une mobilisation qui résonne avec la suspension de Kaï Terada

Au printemps dernier, une mission à 360 degrés a été réalisée dans l’établissement. Cette mission est une sorte d’audit global du lycée où plusieurs inspecteurs généraux s’entretiennent avec les représentants du personnel, des élèves, des parents d’élèves. Le rapport de cette mission n’a pas été rendu public auprès des enseignants. Aussi cristallise-t-il toutes les spéculations. Celle d’un tour de vis sur le contrôle des tenues vestimentaires en fait partie.

Un dispositif important devant le lycée mardi matin, « largement disproportionné ».

Ce qui est certain, en revanche, c’est que des mesures ont été prises depuis la rentrée pour, selon l’académie, « permettre un retour à fonctionnement serein de l’établissement ». Parmi elles, notamment, la suspension sans motif, puis la mutation « dans l’intérêt du service » du professeur de mathématiques Kaï Terada dont Politis vous racontait son histoire ici et ici. Cette sanction à son égard est d’ailleurs la dernière revendication des lycéens qui protestent, en chœur avec une grosse partie de l’équipe pédagogique, contre la mutation « sans raison » de ce professeur historique et apprécié du lycée Joliot-Curie.

Lorsqu’on regarde le tableau global, force est de constater que les pouvoirs publics, plutôt que d’apporter des solutions pour permettre « le fonctionnement serein de l’établissement », ont attisé les colères. L’académie, d’abord, en décidant de muter Kaï Terada et de supprimer l’aide aux devoirs tel qu’elle fonctionnait depuis plusieurs années. La Préfecture, ensuite, en décidant d’un dispositif important devant le lycée mardi matin, « largement disproportionné » selon la plupart de nos interlocuteurs. Pour le retour à la sérénité, on repassera.

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