Bruno Latour, disparition d’un philosophe précurseur de l’écologie politique
Décédé le 9 octobre, il fut un des premiers à travailler sur le concept d’anthropocène et d’une écologie radicale.
dans l’hebdo N° 1727 Acheter ce numéro
Bruno Latour est décédé à l’âge de 75 ans ce 9 octobre. Il était assurément l’un des philosophes français parmi les plus visionnaires de sa génération – et l’un des plus célèbres à l’étranger. Notamment parce qu’il se refusait à penser dans le cadre étroit des frontières disciplinaires.
Également sociologue et anthropologue, professeur à l’École des mines mais aussi à l’université d’Harvard outre-Atlantique, il était attaché au travail de terrain analysant d’abord le processus de recherche scientifique, appréhendée comme une construction sociale située (dès son premier livre, La Vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, coécrit avec Steve Woolgar, éd. La Découverte, 1988).
Son approche de la philosophie des sciences, fortement influencée au départ par l’œuvre de Michel Serres, le porte parmi les premiers à travailler sur le concept d’anthropocène, l’homme ne pouvant plus être considéré comme un « sujet » à part, séparé de son « environnement ».
L’écologie comme horizon politique
Tous ses ouvrages vont dès lors s’engager en faveur d’une écologie politique radicale. Il faut ainsi souligner l’apport majeur de son récent Mémo sur la nouvelle classe écologique. Comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même (éd. La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, 2021, coécrit avec le chercheur danois Nikolaj Schultz) où, dans une sorte de transposition de la théorie marxiste de la lutte des classes, il s’interrogeait sur les conditions pouvant « organiser la politique autour de la question écologique », désormais centrale et apte à « définir l’horizon politique », comme jadis le libéralisme puis le socialisme.
Il fut le premier à percevoir que l’enjeu de la pensée politique résidait tout entier dans la question écologique .
Et dans un élan gramscien, l’écologie politique, au lieu d’être un ensemble de mouvements politiques parmi d’autres, de se voir ainsi bientôt appelée, pour Latour et son coauteur, à gagner la lutte centrale pour les idées, avant même de se traduire dans des conquêtes électorales…
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Dans un entretien filmé sur Arte diffusé en mai dernier et toujours visible en ligne, le philosophe affirmait ainsi, avec force conviction : « Au moment où nous sommes, nous pressentons que les questions écologiques deviennent l’équivalent des questions politiques d’autrefois. »
En voyant là une (nouvelle) ligne de partage politique, pour « constituer des fronts de lutte » portés par une « classe écologique », dont le problème fondamental sera les « conditions d’habitabilité de la planète ». Dans l’hommage qu’il lui a rendu, le sociologue Bruno Karsenti salue ainsi ce grand intellectuel qui fut « le premier à percevoir que l’enjeu de la pensée politique résidait tout entier dans la question écologique ».
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