De nouveaux accidents sur les grands chantiers franciliens
Cinq accidents de travail graves, sur les sites du Grand Paris Express et des Jeux olympiques, s’ajoutent à une liste déjà longue.
dans l’hebdo N° 1729 Acheter ce numéro
L’été s’annonçait chaud. À moins d’un an et demi de l’échéance, les travaux des Jeux olympiques « montent en puissance », comme l’explique sur son site la Solideo, la Société de livraison des ouvrages olympiques, en charge des aménagements pour l’organisation des JO.
Pas moins de 8 000 ouvriers étaient attendus sur ces chantiers cet été. Sur ceux du Grand Paris express (GPE), où quatre nouvelles lignes de métro vont sortir de terre, le constat est assez similaire. Et pour cause, une partie des échéances de livraison est liée au calendrier des Jeux.
Ainsi, tout l’été, ces chantiers ont tourné à plein régime. Et, selon nos informations, cinq accidents de travail graves s’y sont déroulés depuis juillet. Politis a en effet pu consulter une note interne des services de l’inspection du travail qui dresse l’état des lieux des accidents de travail graves et mortels en Île-de-France cet été. Parmi eux, ceux qui ont eu lieu sur les grands chantiers franciliens y prennent une place importante. Si aucun accident mortel n’est survenu ces derniers mois, les blessures sont néanmoins très sérieuses.
Le 5 juillet, un intérimaire italien d’une vingtaine d’années a perdu son bras en travaillant sur le chantier de la ligne 16 à Aulnay-sous-Bois. Il se tenait au niveau d’un tapis roulant sur la bande convoyeuse du tunnelier, cette énorme machine en charge de creuser les tunnels, lorsque son bras et une partie de son épaule ont été coincés et sectionnés.
L’enquête en cours s’intéresse notamment à l’état et à la maintenance de l’équipement de travail. « À la suite de l’accident, le groupement d’entreprises de travaux a initié et continue de mettre en œuvre une batterie de mesures relatives à l’organisation du travail et au comportement des salariés », souligne la Société du Grand Paris (SGP), maître des ouvrages du GPE.
Chute de 5 mètres
Le 25 du même mois, sur le chantier du village olympique, un intérimaire est percuté par un engin de chantier conduit par un autre intérimaire. Il souffre d’une lésion du fémur et va mieux aujourd’hui. Le 2 août, à Champs-sur-Marne sur le chantier de la future gare Noisy-Champs qui accueillera la ligne 15 et la ligne 16, un ouvrier fait une chute de 5 mètres après le décrochage d’un escalier provisoire sur lequel il se trouvait. Il est hospitalisé dans un état jugé sérieux, avec notamment des lésions à l’épaule.
Le 24 août, un ouvrier tombe du 5e étage d’un bâtiment en construction sur le chantier du Cluster des médias à Dugny (Seine-Saint-Denis) qui « accueillera les journalistes du monde entier pendant les Jeux ». Si son pronostic vital n’est pas engagé, le compagnon souffre de plusieurs fractures, au fémur, à la jambe et au bras.
« Le chantier a été arrêté immédiatement dès la survenue de l’accident par respect pour la victime et pour que l’enquête puisse être menée dans les meilleures conditions. À l’exception du bâtiment concerné par l’accident, l’ensemble du chantier a repris dès le lendemain. Cette période d’interruption a permis de réaliser une vérification exhaustive de toutes les dispositions de protection collective du chantier, validée par l’inspection du travail », souligne la Solideo, qui rappelle que de nombreuses mesures sont mises en place sur ces chantiers pour lutter contre les risques de chute.
Enfin, début octobre, « pendant une opération de nettoyage sur le chantier de la gare de La Courneuve, un compagnon a fait une chute et a été conduit à l’hôpital dans la foulée », nous confirme la Société du Grand Paris. Cet intérimaire irait mieux et serait en train de poursuivre sa convalescence chez lui.
Caractère structurel
Pris un par un, ces accidents de travail sont la plupart du temps perçus comme de simples faits divers et traités comme tels par les médias. Pourtant, mis bout à bout, leur caractère structurel semble évident. Sur les chantiers du Grand Paris, trois personnes ont perdu la vie depuis 2020. Sur ceux des Jeux olympiques, on décompte aussi une vingtaine de personnes très grièvement blessées à la suite d’un accident de travail, comme le rapporte une enquête de Basta !
Maxime Wagner est mort en mars 2020 à la suite d’un mouvement en coup de fouet d’une conduite qui lui a percuté la tête sur un chantier de la ligne 14. Il était intérimaire pour Dodin Campenon-Bernard, une filiale de Vinci, aujourd’hui poursuivie pour homicide involontaire. Abdoulaye Soumahoro, lui, est mort en décembre 2020 en tombant dans un malaxeur de béton sur le chantier de la future gare Pleyel à Saint-Denis. C’est sur ce même chantier que Joao Baptista Fernandes Miranda est décédé, en janvier 2022, écrasé par une plaque de 250 kg…
« Nous sommes préoccupés par ces accidents, nous devons trouver des solutions, collectivement, pour que ça n’arrive plus », nous répond la Société du Grand Paris. Le maître d’ouvrage des chantiers du GPE rappelle d’ailleurs que les règles de sécurité sur ces chantiers sont parmi les plus exigeantes du secteur.
Une charte de sécurité qui va « au-delà des obligations légales » figure par exemple dans tous les contrats passés avec les entreprises. Même constat sur les chantiers des JO, où la Solideo est en train de mettre en place, avec les différents acteurs, une charte HSE spécifique sur le sujet de la sécurité et de la santé des travailleurs.
Bienvenue dans le monde du BTP !
Pourquoi, alors, des accidents de travail continuent-ils de se produire ? « Bienvenue dans le monde du BTP », résument beaucoup de nos interlocuteurs. En effet, ces accidents ne sont pas propres aux grands chantiers franciliens. Ils illustrent un secteur de la construction qui figure comme le plus accidentogène du pays. Et même ces immenses chantiers, régis par des règles de sécurité plus exigeantes que la moyenne, ne sont pas exempts des tristes normes du secteur.
En cause, notamment, la sous-traitance en cascade et le recours massif à l’intérim, qui entrave une organisation de travail saine dans le monde de la construction. « S’agissant du recours à l’intérim, il n’est ni plus ni moins important sur nos chantiers que sur les autres », explique ainsi la Solideo. Sur les cinq accidents de travail graves, cet été sur les chantiers du Grand Paris et des JO, au moins quatre intérimaires sont impliqués.
Du côté de la Société du Grand Paris, on pointe, en creux, la responsabilité des entreprises dans ces drames. « Nous rappelons systématiquement aux entreprises leurs obligations en matière de sécurité sur les chantiers, mais aussi aux abords. Nous en appelons à leur responsabilité, ce sont elles in fine qui sont responsables de la sécurité de leurs collaborateurs », écrit la SGP, qui poursuit : « Nous n’avons d’ailleurs pas hésité à imposer des changements de personnes dans la direction des chantiers lorsque nous avons constaté des défauts de sécurité récurrents dans certains groupements d’entreprises. »
Le maître d’ouvrage assure aussi qu’il prévoit de « renforcer » l’arsenal de contrôle avec de nouvelles dispositions dès le début 2023. Du côté olympien, la Solideo promet que son « engagement en la matière ne faiblira pas, jusqu’à la livraison des ouvrages ». Pour que cette liste cesse enfin de tristement s’allonger.