Élections au Brésil : Lula, déjà une demi-défaite
L’ex-président de gauche sort en tête du premier tour de la présidentielle, mais avec un faible écart devant Bolsonaro, dont le camp progresse au Congrès et dans les États de la Fédération.
dans l’hebdo N° 1726 Acheter ce numéro
Pendant une bonne heure, les soutiens de Luis Inácio « Lula » da Silva ont oscillé entre perplexité et stupeur, dimanche 2 octobre : les premiers résultats le donnaient aux alentours de 41 % des voix contre 48 % pour Jair Bolsonaro. Certes, le dépouillement a été plus prompt dans les États favorables au président d’extrême droite sortant. Mais les derniers sondages donnaient l’ex-président issu du Parti des travailleurs (PT), soutenu par une très large coalition de gauche, potentiellement élu au premier tour. Et c’est une « remontada » poussive qui a été infligée à son camp.
Lula recueille finalement 48,43 % des votes, quand Bolsonaro, avec 43,20 %, crée la surprise : il était crédité, au mieux, d’environ 36 % des voix. L’écart pressenti entre les deux candidats hégémoniques a été divisé par trois. La dynamique et l’espoir ont changé de camp. Dimanche soir, Jair Bolsonaro pérorait sur le « mensonge » des médias et des instituts de sondage, qui l’auraient un peu trop vite enterré.
Poussée bolsonariste de dernière minute
Une conclusion s’impose déjà : quoi qu’il arrive lors du second tour du 30 octobre, le mandat de Bolsonaro (2018-2022) ne pourra pas être qualifié de parenthèse dans l’histoire du Brésil. On disait le président sortant isolé par une perte de soutien dans les médias et les milieux économiques, plombé par sa gestion du covid, les sinistres records de déforestation, le retour de la faim dans le pays : sa résistance dément ces analyses, et elle est confirmée dans les autres scrutins du 2 octobre, qui confortent la prééminence du camp bolsonariste à l’Assemblée fédérale, mais aussi, désormais, au Sénat.
Idem pour les instances législatives et exécutives des États, que plusieurs alliés de Bolsonaro pourraient gouverner… quand ce n’est déjà fait, comme dans l’État de Rio de Janeiro, fief bolsonariste où Cláudio Castro, guère pénalisé par ses casseroles (affaires de corruption, répression féroce dans les favelas), est réélu gouverneur. Dans les États de plus fort poids électoral – São Paulo, Minas Gerais, Rio de Janeiro –, le camp bolsonariste fait bien mieux que les projections.
Le nombre de votes nuls ou blancs est passé de 9 % à 4,5 %. La bataille Lula-Bolsonaro a tout écrasé.
Les instituts de sondage ont été trompés par une poussée de dernière minute qu’accréditent plusieurs indices. Alors que la participation a été aussi importante qu’en 2018 (environ 80 %), le nombre de votes nuls ou blancs est passé de 9 % à 4,5 %. La bataille Lula-Bolsonaro a tout écrasé.
Derrière, Simone Tebet (centre droit, 4,16 %) n’a concrétisé que la moitié des intentions mesurées, tout comme Ciro Gomes (centre gauche, 3,04 %), dont le délitement a notablement profité à Bolsonaro. Le signe du vote « utile » de centaines de milliers de personnes, guidé par la détestation de Lula et du PT plus que par une adhésion au président sortant. Lundi, aucun de ces deux battus n’avait donné de consigne de vote pour le second tour : « barrer la route » à Bolsonaro ne leur a pas semblé d’une telle urgence démocratique.
Extrême polarisation
Un autre enseignement vient conforter l’ancrage durable du camp ultraconservateur : l’effondrement du centre droit. Le PSDB, son porte-drapeau et l’un des pivots de la vie politique pendant deux décennies, est laminé, y compris dans son bastion de São Paulo, mégapole et cœur économique du pays. Une mauvaise nouvelle pour Lula, qui a fait le choix stratégique de convaincre Geraldo Alckmin, cacique du PSDB, d’être son candidat à la vice-présidence.
Les chances de Lula de l’emporter le 30 octobre restent cependant réelles. L’homme est un animal politique à son aise comme nul autre dans les arènes électorales. Il se réjouissait déjà, dimanche, des prochains débats médiatiques où il pourrait affronter directement son adversaire, exercice dont il a été privé par des formats baroques associant les onze candidat·es du premier tour (1).
Dans le camp de la gauche coalisée, on redoute que les quatre longues semaines à venir ne soient émaillées de tensions et de violences attisées par les bolsonaristes.
Cependant, cette extrême polarisation, qu’accentue le résultat du premier tour, rend les pronostics hasardeux. Plus que l’adhésion à deux projets politiques que tout sépare, social-démocrate de gauche contre ultra-conservateur d’extrême droite, c’est le niveau de rejet de l’un ou de l’autre qui sera l’arbitre du duel du second tour.
Dans le camp de la gauche coalisée, on redoute que les quatre longues semaines à venir ne soient émaillées de tensions et de violences attisées par les bolsonaristes, dont le mentor a martelé à plusieurs reprises que, s’il ne l’emporte pas, c’est que le résultat lui aura été volé, et qu’en pareille circonstance « le peuple sait ce qu’il a à faire ». Et sans même supposer le chaos, si Lula l’emporte, c’est un pays profondément divisé qu’il aura à présider, avec une marge de manœuvre des plus réduites.
(1) Dont les sept dernier·ères totalisent à peine 1,2 % des votes.