Liz Truss ou les limites de l’ultralibéralisme
L’éphémère Première ministre britannique – 44 jours – aura chuté sur la promesse d’un endettement en faveur des plus riches… qui aura inquiété même les marchés. Son successeur, le brexiteur et pur produit de la finance Rishi Sunak, devra les rassurer.
dans l’hebdo N° 1729 Acheter ce numéro
Les mésaventures tragicomiques de Liz Truss méritent que l’on s’y arrête. Les fiers-à-bras qui annoncent qu’ils vont tout casser et qui dérapent au premier pas sur une peau de banane, cela prête toujours à sourire. On a donc beaucoup insisté sur la brièveté record – 44 jours – du passage de l’ex-Première ministre au 10, Downing Street. Mais il y a plus original dans la chute de Mme Truss.
Ce sont en effet les marchés qui, à leur manière, ont congédié cette ultralibérale qui avait pourtant tout pour leur plaire. C’est l’histoire d’un conflit entre une idéologue et des financiers qui, eux, ont bien les pieds sur terre quand il s’agit de leur portefeuille. Dogmatisme contre pragmatisme.
Pour un coup politique en faveur des riches, Mme Truss projetait d’endetter le pays dans des proportions jamais connues auparavant. Et cela dans un Royaume-Uni qui, avec le Brexit, s’est isolé au point de ne plus offrir aucune garantie de capacité de remboursement à ses créanciers.
Le marché a évincé la Première ministre avec les armes brutales qui sont les siennes. Non, bien sûr, par une décision politique coordonnée, mais avec la connivence spontanée des grands possédants. Les investisseurs qui prêtent des centaines de milliards à l’État britannique ont eu peur de ne jamais revoir leur argent.
L’endettement massif prévu par Liz Truss supposait en effet, pour rétablir un improbable équilibre, un affrontement social d’une violence inouïe.
Ils ont fait plonger la livre en vendant massivement leurs titres. Les fonds de pension se sont retrouvés au bord de la faillite et les banques ont suspendu les crédits immobiliers. L’héritière de Margaret Thatcher n’a pas compris que son programme économique s’autodétruisait aussi sûrement que la « mission impossible », dans la fameuse série télévisée.
Le cadeau fiscal de quelque 35 milliards d’euros fait aux riches était si peu financé qu’il promettait à ces mêmes riches une crise dont ils auraient été aussi les victimes. « Aussi », parce que les premiers dindons de la farce auraient bien sûr été les travailleurs et les classes populaires. Cette partie de l’opinion qui s’était laissé abuser en 2016 par la démagogie des brexiteurs.
L’endettement massif prévu par Liz Truss supposait en effet, pour rétablir un improbable équilibre, un affrontement social d’une violence inouïe. Il fallait liquider des services publics déjà exsangues, un système de santé à l’agonie, et des droits sociaux que Margaret Thatcher et ses successeurs du New Labour avaient déjà ruinés.
L’échec du Brexit
La mise en œuvre du programme économique de l’éphémère cheffe du parti conservateur était la promesse d’une crise sociale majeure venant s’ajouter à la crise financière. En l’occurrence, les marchés se sont montrés plus « politiques » que Mme Truss. Par parenthèse, notons que l’endettement français n’a rien à envier à la droite britannique. Mais le gouvernement d’Emmanuel Macron rassure les financiers en leur promettant les grandes réformes que l’on sait…
En fait, la droite et l’extrême droite d’outre-Manche pariaient sur le Brexit pour sortir de la contradiction qui résultait de leur volonté d’enrichir les riches sans vider les caisses de l’État. Le Brexit, c’était le projet de transformer le Royaume-Uni en paradis fiscal, attirant à vil prix les investisseurs du monde entier. Un paradis sans impôts, sans contraintes sociales ni environnementales. Mais ça ne marche pas, parce que l’isolement britannique inquiète plus qu’il ne rassure les milieux financiers.
Rishi Sunak succède à Liz Truss. Issu de l’immigration, ce qui, dit-on, le rend encore plus hostile aux migrants, il est surtout un pur produit de la finance.
Dans cette affaire, on assiste donc aussi à l’échec du Brexit. On ne s’attardera pas ici sur le tout petit bout de la lorgnette politicienne. Qui va succéder à Liz Truss ? Ce sera finalement Rishi Sunak. Issu de l’immigration, ce qui, dit-on, le rend encore plus hostile aux migrants, il est surtout un pur produit de la finance. Ce qui le différencie de Liz Truss.
Ancien de Goldman Sachs, il va tenter de réconcilier les Tories avec la City. Difficile, pour cet extrême brexiteur ! Pas sûr qu’il échappe à la logique démocratique qui voudrait que les Britanniques retournent aux urnes. Avec trente points d’avance dans les sondages, les Travaillistes de Keir Starmer l’emporteraient haut la main.
Mais on sait depuis Tony Blair que ceux-là, une fois au pouvoir, ont pris l’habitude de se coucher douillettement dans le lit de la droite… C’est un invariant de la social-démocratie européenne. Moyennant quelques modérations sur les questions de société.
De Sunak à Meloni, les discours se ressemblent. Discours qu’Emmanuel Macron ne craint pas de légitimer.
N’oublions pas que Liz Truss avait gagné la primaire du parti conservateur sur un programme violemment anti-fonctionnaires, anti-grèves, favorable aux forages pétroliers les plus dévastateurs, et tout à l’avenant. Et anti-immigrés, cela va sans dire. Curieusement (ou pas…), on peut voir entre ce programme, qui sera aussi celui de Sunak, et le discours de la post-fasciste italienne Giorgia Meloni plus que des ressemblances.
Ces discours qu’Emmanuel Macron ne craint pas de légitimer, avec tout juste un peu de honte. En visite à Rome pour une conférence de la communauté catholique Sant’Egidio, il est passé par une porte dérobée pour rencontrer la nouvelle Première ministre… Las, l’entourage de Giorgia Meloni n’a pas eu les mêmes délicatesses, s’empressant de souligner que ce qui devait être « un café rapide s’est transformé en une longue conversation cordiale ». Liz Truss n’aura pas eu le temps de connaître ces petits honneurs qui légitiment le pire sur la scène internationale.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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