L’outre-mer qu’on voit danser

Mis en lumière par le festival Souffle o.I. à La Réunion, un ambitieux projet de mutualisation des forces chorégraphiques émerge dans l’océan Indien.

Jérôme Provençal  • 5 octobre 2022 abonnés
L’outre-mer qu’on voit danser
© Murmures des décasés, de Djodjo Kazadi. (Photo : Cie Kazyadance.)

Inscrit dans le cadre d’une association loi 1901, Lalanbik est apparu en 2014 à La Réunion pour pallier l’absence d’organisme spécifiquement consacré à la danse dans l’océan Indien.

Souffle o.I. #3, jusqu’au 10 novembre à La Réunion.

D’abord ancré au Port, commune à la pointe nord de l’île entre Saint-Paul et Saint-Denis, le lieu s’est fixé plusieurs missions : soutenir les artistes, favoriser la création, transmettre la pratique, sensibiliser les publics, fournir des informations et constituer un fonds d’archives (sur son site Internet et sur la plateforme numeridanse.tv). Toutes ses actions sont menées en lien et en concertation avec les collectivités et les structures ou personnes qui opèrent dans le champ de la danse au niveau local.

Approchant le cap des dix ans d’existence, Lalanbik semble aujourd’hui en pleine croissance sous l’impulsion de sa directrice, Valérie Lafont. Arrivée à la tête du lieu en octobre 2019, forte d’un cheminement costaud dans le spectacle vivant en France métropolitaine (notamment à la Commune, à Aubervilliers et au CCN de -Créteil et du Val-de-Marne), celle-ci s’est engagée pour la première fois sur un territoire d’outre-mer – une expérience particulièrement vivifiante.

Potentiel d’imaginaire

« Je suis arrivée seule, avec quelques bagages, et j’ai ressenti un choc, confie Valérie Lafont. La Réunion est surnommée “l’île intense” et ça ne vient pas de rien : la puissance de la nature, de l’océan en particulier, y est -extrêmement prégnante. J’avais l’intuition que je serais plus proche des enjeux du monde actuel en étant ici, dans cette île marquée par une grande mixité sociale, ethnique et culturelle, à proximité d’autres populations insulaires très touchées aussi par le colonialisme. Cela change ma manière de vivre, déplace mon regard, remet en question mes acquis et élargit mon horizon. Le potentiel d’imaginaire qu’offre l’île constitue une grande chance. Être ici m’apparaît vraiment comme un cadeau. »

© Politis
Murmures des décasés, de Djodjo Kazadi. (Photo : Compagnie Kazyadance.)

À peine installée, Valérie Lafont a été invitée à se rendre sur l’île Maurice, la plus proche voisine de La Réunion, pour prendre part au festival Sagam, organisé par le chorégraphe Stephen Bongarçon. Là-bas, elle a pu établir maintes connexions et prendre la mesure des principaux enjeux en matière de danse à cet endroit du monde. Dès lors, son projet artistique pour Lalanbik s’est déployé dans une dynamique de solidarité et de partage englobant tous les territoires de l’océan Indien autour de La Réunion.

Instaurer un rapport plus équilibré, d’égal à égal, avec l’Occident.

« Le désir fondateur consiste à agir ensemble, à penser en commun tous les aspects de la création chorégraphique – formation, production, diffusion… –, à croiser les expériences et les idées dans le but de valoriser ce qui peut se faire ici, souligne Valérie Lafont. Sans chercher à essentialiser – surtout pas – les diverses danses de l’océan Indien, nous tendons à les renforcer, à leur apporter un espace viable, économiquement et artistiquement, et à instaurer un rapport plus équilibré, d’égal à égal, avec l’Occident. »

Portée par un vent très motivant, que la pandémie de covid n’a pas réussi à faire retomber, la directrice de Lalanbik a lancé un nouvel événement, baptisé Souffle o.I. (pour océan Indien). Objectifs ? Faire découvrir des spectacles, amener les artistes à échanger avec le public, susciter des rencontres professionnelles, ouvrir des perspectives à l’échelle régionale et au-delà.

Un festival étendu sur deux mois

Proposé dans une configuration restreinte en 2020 et 2021, entre les vagues virales, Souffle o.I. s’amplifie cette année et prend la forme d’un festival étendu sur deux mois à travers La Réunion – avec un temps fort de deux semaines, fin octobre-début novembre, durant lequel tous les artistes seront présents.

PGlmcmFtZSB3aWR0aD0iNTYwIiBoZWlnaHQ9IjMxNSIgc3JjPSJodHRwczovL3d3dy55b3V0dWJlLmNvbS9lbWJlZC9oOHBNdktRbjF1YyIgdGl0bGU9IllvdVR1YmUgdmlkZW8gcGxheWVyIiBmcmFtZWJvcmRlcj0iMCIgYWxsb3c9ImFjY2VsZXJvbWV0ZXI7IGF1dG9wbGF5OyBjbGlwYm9hcmQtd3JpdGU7IGVuY3J5cHRlZC1tZWRpYTsgZ3lyb3Njb3BlOyBwaWN0dXJlLWluLXBpY3R1cmUiIGFsbG93ZnVsbHNjcmVlbj48L2lmcmFtZT4=

Parmi les chorégraphes invités figure Djodjo Kazadi. D’origine congolaise, ce dernier – après avoir passé plusieurs années en France métropolitaine – vit et travaille depuis 2015 à Mayotte. Ayant découvert l’île au début des années 2000 grâce à sa compagne, mahoraise, il y a d’abord animé des ateliers puis a fait éclore le Royaume des fleurs, une fabrique artistique conçue en priorité pour les jeunes. Dans ce laboratoire très vivant, enfants et adolescents peuvent s’initier à plusieurs disciplines (danse, théâtre, arts plastiques, musique…) via notamment des ateliers menés par des artistes.

«Avant, la danse n’était pas du tout prise au sérieux à Mayotte, explique Djodjo Kazadi. Elle n’était pas considérée comme un métier, n’offrait aucune voie d’avenir. Le statut d’artiste n’y est pas reconnu, l’intermittence n’existe pas, contrairement à La Réunion. Aujourd’hui, les choses évoluent. Suscitant de plus en plus d’intérêt, le Royaume des fleurs représente une forme d’espoir pour les jeunes. Nous avons accueilli Souffle avec enthousiasme, car cette initiative corrobore notre action. Il est essentiel de créer des ponts entre les territoires de la région, de se rencontrer, de travailler ensemble. »

Désormais installé à Saint-Pierre, sur le site d’une ancienne usine sucrière, Lalanbik – qui devrait être labellisé centre de développement chorégraphique national (CDCN) d’ici à 2024 – œuvre activement, avec d’autres structures de la région, à la mise en place d’une vaste plateforme professionnelle transnationale.

Récemment enclenché, le réseau Indian Ocean Choreographic Arts Network (IOCAN) – au sein duquel sont reliés des protagonistes de plusieurs pays de l’océan Indien ainsi que de la métropole – en offre une prometteuse préfiguration.

Spectacle vivant
Temps de lecture : 5 minutes