Quand le mythe du « chômeur profiteur » se heurte à la réalité

Une étude réalisée par l’institut statistique du ministère du Travail évalue « entre 25 et 42 % » la part des chômeurs indemnisables qui n’ont pas recours à l’assurance-chômage. Un résultat explosif tant celui-ci contredit des années de discours stigmatisants.

Pierre Jequier-Zalc  • 4 octobre 2022
Partager :
Quand le mythe du « chômeur profiteur » se heurte à la réalité
© Des demandeurs d'emploi dans l'agence Pôle Emploi de Gap, en mars 2022. (Photo : Thibaut Durand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.)

C’était un point mort de l’analyse des politiques publiques. Le voilà enfin dévoilé. Entre 390 000 et 690 000 personnes par an n’ont pas recours à l’assurance-chômage alors qu’elles y auraient droit. Ce qui représente entre 25 et 42 % des salariés éligibles à cette allocation à la fin de leur contrat.

Ces chiffres ont été révélés dans un rapport remis par le gouvernement au Parlement et dont Les Echos a dévoilé les principaux résultats. Celui-ci s’appuie sur une étude quantitative de la Dares, l’institut statistique du ministère du travail, et des chercheurs et chercheuses de l’École d’économie de Paris. Elle est réalisée sur la base de données récoltées entre novembre 2018 et octobre 2019. Soit avant l’entrée en vigueur de la dernière réforme de l’assurance-chômage datant de la fin 2021.

Des précaires qui « recourent significativement moins à l’assurance-chômage »

L’étude se penche notamment sur le profil de ces personnes ne recourant pas à une allocation dont ils ont pourtant le droit. « Les salariés en contrats temporaires (intérim et CDD) recourent significativement moins à l’assurance-chômage que les salariés en fin de CDI », écrit Médiapart citant le rapport.

© Politis
Des demandeurs d’emploi de l’agence de Pôle Emploi de Gap, en mars 2022. (Photo : THIBAUT DURAND / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP.)

« Les non-recourant ont travaillé moins longtemps que les recourants, leurs droits potentiels sont donc plus faibles : ainsi, plus de la moitié (55 %) des éligibles ayant travaillé entre 4 et 6 mois ne recourent pas à l’assurance-chômage, contre 19 % pour ceux ayant travaillé plus de deux ans. »

Aussi, le rapport indique que « près d’un quart [des non-recourants] retrouvent un emploi dans le mois suivant la fin de contrat, contre 15 % des recourants ». Des résultats qui interpellent, notamment lorsqu’on sait que la précédente réforme de l’assurance-chômage s’attaquait tout particulièrement aux travailleurs précaires en baissant drastiquement le salaire journalier de référence (SJR) pour celles et ceux enchaînant contrats courts et périodes de trou.

Une étude qui aurait dû être livrée… deux ans plus tôt

À la veille d’une future réforme de l’assurance-chômage qui promet un nouveau tour de vis pour les chômeurs, cette étude bat en brèche un argumentaire libéral pourtant bien rodé. Si le chômage persiste dans une période de « tensions de recrutement », c’est qu’il y aurait un nombre important de chômeurs préférant vivre des allocations plutôt que de travailler.

Cette étude confirme que cette idée du chômeur-profiteur est largement marginale. Plutôt qu’optimiser leurs allocations, les demandeurs d’emploi ont plus tendance à ne pas y recourir…

Un argumentaire vivement critiquable comme nous vous l’expliquions la semaine dernière dans Politis. Cette étude confirme que cette idée du chômeur-profiteur est largement marginale. Plutôt qu’optimiser leurs allocations, les demandeurs d’emploi ont plus tendance à ne pas y recourir… Selon ce rapport, les deux raisons avancées pour expliquer ce non-recours sont un « défaut d’information » sur la possibilité d’avoir accès à une indemnisation ou un « défaut de sollicitation ».

Surtout, les résultats de cette étude auraient dû être connus bien plus tôt. En effet, une disposition avait été prise dans la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Elle obligeait, à partir de sa promulgation en 2018, le gouvernement à livrer au Parlement les résultats de cette étude sous deux ans, donc en 2020, avant l’entrée en vigueur de la précédente réforme.

Ce n’est que 2 ans plus tard qu’ils ont été livrés, documentant enfin factuellement un phénomène jusque-là peu étudié. Reste à voir s’ils feront infléchir le gouvernement sur son nouveau projet de loi.

Travail
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Mise en danger d’autrui, subornation de témoins… François Asselin, ex CPME, dans la tempête
Enquête 6 février 2025 abonné·es

Mise en danger d’autrui, subornation de témoins… François Asselin, ex CPME, dans la tempête

L’ex président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) est au cœur de l’enquête sur l’intoxication au plomb de plusieurs ouvriers sur le chantier de l’Opéra royal du Château de Versailles. Révélations.
Par Pierre Jequier-Zalc
Sur le chantier de l’Opéra royal du château de Versailles, « des intérimaires envoyés à la mort »
Justice 6 février 2025 abonné·es

Sur le chantier de l’Opéra royal du château de Versailles, « des intérimaires envoyés à la mort »

Ce lundi 10 février s’ouvre à Versailles un procès historique. Près de 16 ans après la grave intoxication au plomb de plusieurs intérimaires sur le chantier de restauration de l’Opéra royal du Château de Versailles, quatre entreprises et six personnes physiques sont notamment accusées de blessures involontaires et de mise en danger d’autrui.
Par Pierre Jequier-Zalc
Siham Touazi, l’infirmière qu’un Ehpad de luxe voulait faire taire
Luttes 6 février 2025 abonné·es

Siham Touazi, l’infirmière qu’un Ehpad de luxe voulait faire taire

Celle qui avait initié une grève inédite de 133 jours avec une dizaine de femmes dans un établissement cossu du Val d’Oise, est visée pour une plainte en diffamation par ses anciens employeurs. L’audience de cette « procédure bâillon » était fixée ce jeudi 6 février. Portrait.
Par Hugo Boursier
En Ardèche, la Confédération paysanne espère (enfin) renverser la FNSEA
Terrain 23 janvier 2025 abonné·es

En Ardèche, la Confédération paysanne espère (enfin) renverser la FNSEA

Alors qu’en 2019, elle a échoué à 224 voix pour remporter la chambre d’agriculture ardéchoise, la Confédération paysanne pense, cette fois, bénéficier de son ancrage local de plus en plus fort pour battre la FNSEA et son « double discours ».
Par Pierre Jequier-Zalc