« Reprise en main » de Gilles Perret : la finance aux ouvriers !
Le réalisateur signe son premier long métrage de fiction, une joyeuse comédie sociale… et capitalistique. Rencontre.
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On se souvient de la séquence finale, bouleversante, de Debout les femmes !, le film précédent de Gilles Perret coréalisé avec François Ruffin : à l’instar d’un chœur antique, au sein de l’Assemblée nationale, les femmes de ménage chantaient leur émancipation. La fin du documentaire était ainsi fictionnée. Reprise en main, Gilles Perret, 1 h 47.
Gilles Perret n’avait plus qu’un pas à faire pour se lancer dans un premier long métrage de fiction. Et voici Reprise en main. D’évidence, le cinéaste s’est trouvé à l’aise dans ce nouvel exercice. « Entre le documentaire et la fiction, explique-t-il, il y a plusieurs similitudes : j’ai le même rapport de proximité avec les personnes que je filme, faire qu’avec l’équipe technique et les comédiens. J’essaie d’être le plus juste possible et de donner de la visibilité à ceux qu’on ignore habituellement. »
Cependant, Gilles Perret discerne deux grandes différences. La première, c’est la liberté que permet l’écriture de fiction. « D’autant que, sur le sujet de l’industrie et de la finance, je savais que mes interlocuteurs, s’ils avaient voulu me parler franchement, auraient été mis en porte-à-faux. »
D’où ce « scénario un peu fou », précise-t-il, coécrit avec Marion Richoux, sa compagne à la ville, qui raconte comment des salariés d’une usine de décolletage (c’est-à-dire de mécanique de précision) réussissent à s’emparer de leur outil de production au nez et à la barbe de financiers avisés.
La lourdeur de l’équipe technique, rassemblant une quarantaine de personnes, tranche aussi avec le documentaire. Mais qu’à cela ne tienne : tout le monde semble avoir été très soudé autour de ce tournage.
« Je les ai tous immergés dans mon milieu, la vallée d’Arve, en Haute-Savoie : qu’il s’agisse de l’usine qui a servi de décor – où j’ai installé des machines quand, avant de faire du cinéma, j’étais ingénieur –, des bistrots ou de la falaise, où je grimpe moi-même… ». La falaise a en effet un rôle important dans le film, car c’est en pratiquant l’escalade que le personnage principal, Cédric, incarné par Pierre Deladonchamps, se dépense et apprend à se dépasser.
Pieds-nickelés malins
Cédric est un ouvrier très qualifié, comme la plupart de ceux qui travaillent au sein des entreprises de décolletage, de haute technicité. Un jour, il découvre que son usine va bientôt être vendue à un fonds d’investissement via le système de Leveraged Buy-Out (LBO) – la mise de départ peut ne pas dépasser 10 % de la valeur de la société, les 90 % restants étant empruntés et remboursés par la boîte elle-même.
L’idée lui vient de griller la politesse à ces vautours avec l’aide d’un copain employé de banque (Grégory Montel) et d’un ami responsable d’une petite PME (Vincent Deniard), ainsi que la complicité de Julie (Laetitia Dosch), la directrice financière du patron (Samuel Churin).
Des amateurs, bande de pieds nickelés en puissance – l’humour, très présent, fait de Reprise en main une vraie comédie sociale –, qui se révèlent plus malins que certains le croyaient.
L’absence de syndicalistes dans l’usine est notable. Elle est conforme à la réalité. « Dans la vallée, il y a moins de 2 % de travailleurs syndiqués, alors que le taux national dans le privé tourne autour de 8 %. Plusieurs raisons à cela, dont le bon niveau des salaires et la haute qualification des métiers. »
Le côté fable, ça permet d’embarquer le spectateur, de lui donner la niaque.
Le père de Cédric, interprété par Rufus – le casting est décidément impeccable –, est, lui, un ancien syndicaliste. « Que Cédric rejoigne les positions de son père au travers de son expérience propre, de son courage et de l’aide de ses copains me semblait plus intéressant », explique le cinéaste.
Une scène entre Cédric et son père, dont on ne dira rien ici, est particulièrement émouvante. Elle a été enregistrée le premier jour de tournage entre Rufus et Pierre Deladonchamps, celui-ci étant impressionné par le premier, qu’il ne connaissait pas.
« J’avais raconté un peu avant la vie de mon père, ouvrier, à Rufus, qui porte ses vêtements dans le film. Quand ils se sont mis à faire la scène, les techniciens, qui pourtant connaissaient bien le scénario, ont eu les larmes aux yeux. Il n’y a pas à dire : comédien, c’est un métier ! Moi qui n’avais jamais eu à travailler avec des acteurs, tous m’ont beaucoup appris. »
L’humilité de Gilles Perret respire l’authenticité, comme tout ce qui a trait à Reprise en main. En outre, tout doit être précis, vérifié. Même la manière dont Cédric et ses potes échafaudent leur stratégie avec le LBO. « Le scénario a été validé par des financiers suisses. Je tenais absolument à être irréfutable. » Le film a tout de même un aspect « conte de la vallée d’Arve » (à la manière des Contes de l’Estaque de Robert Guédiguian) très réjouissant. « Le côté fable, ça permet d’embarquer le spectateur, et de lui donner la niaque », estime le cinéaste.
C’est justement parce que ces entreprises sont bénéficiaires que les fonds d’investissement s’y incrustent.
Pourquoi pas une reprise en Scop [société coopérative de production] ? « Quand une entreprise est en train de couler, elle ne vaut pas cher. La part par ouvrier est donc peu élevée. Or les entreprises dans la vallée d’Arve dégagent des profits, outre que les machines sur lesquelles travaille Cédric valent chacune un million d’euros. Ces entreprises ne sont pas reprenables en Scop. C’est justement parce qu’elles sont bénéficiaires que les fonds d’investissement s’y incrustent. Et ils ont perverti le système qui, à l’origine, consistait à attirer de l’argent pour investir, en fixant des taux de remboursement à 15 % – ce qui est la norme des sociétés cotées en Bourse. Même les patrons des PME de la vallée réprouvent un tel processus. Au vrai, les LBO ponctionnent les richesses des entreprises. » Et Gilles Perret de conclure son développement par un sourire : « Mon ennemi, c’est la finance ! »