Travail versus allocs : l’œil de Marx
Le débat entre la « gauche du travail » et la « gauche des allocs » n’est pas nouveau. Marx polémiquait déjà en son temps avec ceux qu’il qualifiait d’utopistes et qu’incarnent aujourd’hui les promoteurs de l’allocation universelle.
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Relire Marx permet de situer l’origine de la querelle opposant la « gauche du travail » à la « gauche des allocs ». Notre Petit Manuel critique des théories économiques (éd. La Dispute, septembre 2022) rappelle que la théorie marxiste de la valeur s’inscrit dans la lignée de la théorie classique, où le travail est la seule source de création de richesse.
Chez Marx, le mode de production capitaliste repose sur l’unique condition que les détenteurs de capitaux soient en mesure d’exploiter une marchandise particulière, la force de travail, la seule ayant la propriété de créer de la valeur – les machines, produits d’un travail passé, ne créant pas de valeur.
La force de travail est rémunérée à sa valeur, équivalente à la quantité de travail nécessaire pour produire des marchandises entrant dans le panier de consommation des salariés. Elle engendre une plus-value, à l’origine du profit que s’approprient les capitalistes sur le dos des travailleurs.
Le conflit transversal capital-travail est donc consubstantiel au capitalisme. Il pose le problème du contrôle, par les salariés eux-mêmes, de la valeur qu’ils ont créée, dans le but de socialiser la plus-value en faveur d’investissements utiles au progrès social. À long terme, la réduction du temps de travail, permise par le progrès technique et organisée par le collectif des travailleurs-producteurs, rend possible la fin de la division du travail.
Mais tout ceci suppose que les travailleurs aient, auparavant, dessaisi les capitalistes de la direction de l’économie. C’est pourquoi la question sociale est centrale dans la hiérarchie des luttes menées par la « gauche du travail ». Celles-ci portent non seulement sur les salaires et les conditions de travail, mais peuvent également faire émerger des « déjà-là » communistes (dixit Friot), à l’image des services publics ou de la Sécurité sociale, dont la bourgeoisie n’a de cesse de vouloir réduire le périmètre.
Faut-il s’étonner du fossé qui sépare la nouvelle gauche utopiste des classes laborieuses de la France périphérique ?
Le débat entre les rouges et les verts n’est pas nouveau. Marx polémiquait déjà avec ceux qu’il qualifiait d’utopistes, et qu’incarnent aujourd’hui les promoteurs de l’allocation universelle. Alors que la bataille centrale pour le contrôle de la sphère de la production est, pour Marx, l’enjeu final de la lutte des classes, les utopistes de son époque proposaient de s’en détourner pour fonder, à côté de l’économie monétaire, les éphémères « phalanstères » de Fourier, les « villages d’harmonie et d’amitié » d’Owen ou l’« Icarie » de Cabet.
De nos jours, le revenu universel prôné par « la gauche des allocs » instille de nouveau l’idée que la bataille pour changer la vie au travail est devenue vaine, si ce n’est écologiquement indésirable. Pour les décroissants, honte à ceux qui s’aliènent dans ce qu’André Gorz nomme « l’économie hétéronome » ; l’allocation universelle (dont le montant avancé ne dépasse pourtant pas le seuil de pauvreté) permettrait de s’accomplir en dehors du travail salarié, qui participe à leurs yeux d’un productivisme destructeur.
Faut-il alors s’étonner du fossé qui sépare la nouvelle gauche utopiste des classes laborieuses de la France périphérique, qui s’échinent à conserver leurs emplois et à boucler leurs fins de mois ?
Liem Hoang-Ngoc est maître de conférences à Paris-I.
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