Un million de signatures européennes pour en finir avec les pesticides
L’initiative citoyenne européenne « Sauvons les abeilles et les agriculteurs » a recueilli le nombre de signatures suffisantes pour proposer à la Commission européenne une évolution de la législation. Objectif : sortir des pesticides d’ici à 2035.
dans l’hebdo N° 1729 Acheter ce numéro
Jean-Marc Siffre est un des contributeurs de la revue collaborative Silence, édité par l’association du même nom.
Pour nourrir la population les productions agricoles sont nécessaires en quantité et en qualité. Pour soutenir les agriculteurs de la FNSEA, le chef de l’État a évoqué, lors de la fête « Terres de Jim » début septembre une future loi pour 2023. De son côté, l’Europe prépare une nouvelle réglementation pour réduire les pesticides.
Deux alternatives se présentent : faut-il être très précautionneux avec les pesticides parce qu’ils sont dangereux, pour s’en servir ad vitam aeternam, ou faut-il refondre en profondeur le système agricole pour ne plus dépendre de pesticides et d’engrais synthétiques (1) ?
Réduire les pesticides dans les pratiques agricoles serait souhaitable pour de nombreuses raisons trop longues à détailler : ils nuisent à la fertilité des sols, tuent les pollinisateurs dont les abeilles, dégradent la santé (cancers, maladie de Parkinson) en général et la reproduction en particulier.
Les pesticides et les engrais azotés contribuent fortement aux émissions des gaz à effet de serre.
De plus les pesticides et les engrais azotés contribuent fortement aux émissions des gaz à effet de serre (CO2, NH3, CH4) et à la consommation d’hydrocarbures. Une réduction de 50% des pesticides sur 10 ans avait été décidée en 2009 mais sans grand succès. Seules quelques fermes (un millier) ont suivi le plan national écoPHYTO et ont montré que c’était réalisable.
Pour réduire les pesticides, la Commission européenne nous a soumis un texte dans le cadre d’une consultation publique (sans beaucoup de publicité). Ce texte d’une grande complexité, promet diverses tracasseries administratives. Exemple : « toutes les interventions sur les cultures doivent être consignées [dans un registre électronique] qui contient toutes les informations pendant une période d’au moins 3 ans… Le nom du conseiller ainsi que les dates et le contenu des conseils… Une fois par an, les autorités compétentes présentent à la Commission européenne un résumé et une analyse » (article 16).
«L’État adopte les règles propres à chaque culture et à la zone concernée » (article 12). On demande à l’agriculteur d’essayer toutes les techniques sans pesticides avant d’appliquer les traitements chimiques : la « rotation des cultures,… la technique du faux semis, les dates et densités des semis, les sous- semis, les cultures associées, la pratique aratoire conservative, la taille et le semis direct,… le renforcement des organismes utiles importants, y compris par des mesures de protection des végétaux bénéfiques. » (article 13).
Ces techniques ressemblent à ce qui est préconisé en permaculture ou en culture biologique mais toutes ces techniques sont impossibles à appliquer en peu de temps. Il faut plusieurs années pour les mettre au point. De plus, beaucoup d’agriculteurs ne connaissent pas ces méthodes inhérentes à l’agriculture biologique et dépendent de la spécificité des terrains, des espèces de cultures. Pourquoi pas simplement, une conversion AB (Agriculture biologique) ?
Par ailleurs, vouloir réduire les pesticides c’est très bien mais cette nouvelle réglementation ne va-t-elle pas compliquer le travail des agriculteurs ? Elle va justement engendrer de sérieuses problématiques : d’une part, elle va nécessiter une administration avec cohorte d’experts, pléthore de conseillers et contrôle informatique. Pourquoi ? Pour apprendre aux agriculteurs à utiliser les pesticides… D’autre part, l’exploitant – gros ou petit -, va être encore plus démotivé parce que tout va lui échapper. C’est l’État qui va décider de tout, avec un contrôle tatillon.
Pourquoi laisse-t-on les firmes fabriquer des pesticides toujours nouveaux, toujours soit-disant « meilleurs » ?
Par ailleurs, qui va payer ? Les « gros » vont peut-être s’en sortir, mais beaucoup d’agriculteurs gagnent peu. Pour un tiers d’entre eux, moins de 350 € par mois. Un suicide avait lieu tous les jours en 2020 (rapport du Sénat) ; c’est pour cela qu’une cellule d’écoute a été mise en place et l’État a sollicité les banques pour qu’elles soient plus humaines. Faut-il culpabiliser les petits agriculteurs ? Sont-ils les seuls responsables de la pollution ? Ils ont été obligés de s’adapter à une agriculture intensive pour survivre… et peut-être mal conseillés.
Pourquoi laisse-t-on les firmes fabriquer des pesticides toujours nouveaux, toujours soit-disant « meilleurs » ? Ça leur rapporte et c’est criminel. Les externalités négatives de ce business sont à la charge de la collectivité et des ménages (santé publique, environnement).
C’est pourquoi je me permets une série de souhaits adressés à l’Europe, en espérant être entendu. Je souhaite :
– La taxation des firmes qui fabriquent les pesticides chimiques et les engrais azotés. Ainsi, elles contribueraient à réparer les dégâts de pollution en particulier celle de l’eau. En effet, les coûts de pollution de l’eau sont considérables, difficiles à chiffrer mais Olivier Bommelaer et Jérémy Devaux (2) arrivent à les évaluer à plusieurs milliards d’euros : «Les pesticides dilués dans les flux annuels, dans les rivières ou écoulés des nappes à la mer, sont d’environ 74 tonnes par an. Les coûts de traitement de ces apports se situeraient dans une fourchette de 4,4 à 14,8 milliards d’euros.» Ces coûts n’incluent pas toutes les pollutions ni les impacts sur la faune, la flore, les champignons, les écosystèmes, les ressources halieutiques. Ils sont aujourd’hui en grande partie assumés par les ménages. Les firmes phytopharmaceutiques seraient, à l’évidence, obligées de freiner un peu leur production si elles finançaient la dépollution ;
– la formation des agriculteurs aux méthodes agricoles sans pesticides dans tous les pays européens : favoriser les mycorhizes, les auxiliaires, les vers de terre, les fourmis, la fumure animale, les engrais verts, l’agroforesterie, les cultures associées, les assolements, la rotation de cultures, etc. Charles Darwin, Albert Howard, savaient déjà et tous les biologistes d’aujourd’hui savent que c’est l’humus qui fertilise la terre. Dans l’humus, les micro-organismes recyclent les matières organiques en nutriments pour les plantes. Les pesticides tuent l’activité des micro-organismes, détruisant insectes, bactéries et champignons. L’activité des micro-organismes constitue la base de l’agriculture et de la vie sur terre («Ver de Terre et C__ie » article paru dans la revue « Silence » n°503) ;
– l’interdiction de la pulvérisation aérienne et l’enrobage des semences ;
– l’interdiction des nouvelles techniques génomiques high-tech à hauts risques. Par exemple : la paratransgénèse est un domaine de manipulation génétique sur les bactéries présentes dans l’intestin d’un insecte (moustique, par exemple) au risque que les gènes manipulés soient transmis à d’autres espèces et détruisent tout un équilibre naturel.
– le soutien financier des agriculteurs qui veulent se convertir à l’agriculture sans pesticides et aider « au maintien » sur plusieurs années. Paradoxalement, les financements de la PAC sont orientés pour favoriser les gros exploitants (certaines primes sont octroyées à l’hectare) au détriment des petits exploitants (souvent AB) qui créent des emplois et qui polluent peu ;
– l’interdiction de la vente à l’étranger des produits néfastes pour l’environnement prohibés en Europe et contrôler rigoureusement les produits importés avec les mêmes exigences que les denrées européennes ;
–le développement de la recherche agronomique (3).
Aujourd’hui, le progrès technique montre ses limites. Aucune technique ne réparera la disparition des espèces, la diversité biologique ni la stérilisation et l’artificialisation des sols agricoles, ni tous les problèmes de santé publique. Aucun robot ne remplacera l’abeille, aucun drone ne remplacera le ver de terre.
Que va répondre l’Europe ? Combien faut-il d’énergie pour nous défendre contre les lobbies pour la santé, pour la biodiversité ?
Depuis des millions d’années, la nature a évolué, elle s’est perfectionnée, elle nous a permis de vivre. Respectons-la. Les 1 054 973signatures de l’ICE « Sauvons les abeilles et les agriculteurs » (4) viennent d’être validées ; cette initiative citoyenne européenne demande l’élimination de 80 % des pesticides de synthèse d’ici à 2030 et de 100 % d’ici à 2035 (5).
Que va répondre l’Europe ? Combien faut-il d’énergie pour nous défendre contre les lobbies pour la santé, pour la biodiversité ? L’expérience passée nous a montré combien, pendant des années, les fabricants de tabac se sont démenés contre la réglementation d’un produit dangereux sans ambiguïté.
Les climatologues nous alertent du réchauffement depuis plus de 50 ans mais nos chefs d’État comptent trouver un progrès technique assez astucieux pour éviter le cataclysme climatique. Ils ne pensent qu’à sauver la croissance. Des diplômés, des scientifiques entrent en rébellion et la désobéissance civile se développe.
Les biologistes nous alertent contre les pesticides tels Rachel Carson ou Theo Colborn. Combien de temps les scientifiques seront-ils restés calmes, sages, discrets, pacifiques pour confirmer encore que la planète est un peu plus abîmée et qu’elle perd sa capacité de régénération ? Mais tant que ça rapporte…
(1) Pesticides et engrais ont des inconvénients mais pas du même ordre. Les premiers sont des biocides ; ils tuent des entités vivantes (bactéries, champignons, herbes, insectes, humains) ou perturbent leur développement. Les engrais nourrissent les plantes mais affaiblissent leurs défenses naturelles et contrarient les micro-organismes. On ne sait pas doser la quantité d’engrais juste nécessaire ; on en met alors toujours trop et, en moyenne, seulement 50% des engrais azotés bénéficient aux végétaux, le reste va polluer l’eau. L’excès de phosphate fait le bonheur des algues vertes surtout en Bretagne. Paradoxe, les nitrates de synthèse coûtent cher en pétrole. « Le bon sens est la chose la mieux partagée » mais pas la logique.
(2) D’après Olivier Bommelaer et Jérémy Devaux (« Études et Documents » septembre 2011 du Commissariat Général au Développement Durable) : le coût d’élimination d’un kilogramme de pesticides dans l’eau est compris entre 60 000 et 200 000 €. Les coûts de substitution de l’eau du robinet vers l’eau en bouteille dus aux pesticides : 710 M€ ; les coûts des collectes et traitements des bouteilles : entre 10 et 14 M€. Total des impacts directs évalués sur les budgets annuels des ménages : entre 1010 et 1530 M€. Autres impacts marchands : déclassement de 37% des zones conchylicoles bretonnes ; pénalisation de l’activité économique des eaux minérales et thermales (cas de Vittel) ; quasi disparition de plusieurs espèces dont l’anchois et l’anguille. Le coût complet du traitement annuel des excédents de produits chimiques utilisés dans l’agriculture et l’élevage dissous dans l’eau serait supérieur à 54 milliards d’euros par an.
(3) Voir mon billet de blog, « Agriculture sans pesticides, possible ou impossible ? »
(4) ICE : Initiative Citoyenne Européenne« Sauver les Abeilles et les Fermiers », lancée en 2019 par 7 organismes dont Générations Futures, puis soutenue par plus de 200 associations européennes, pour demander une élimination progressive des pesticides de synthèse d’ici à 2035, une aide aux agriculteurs pour qu’ils changent leurs pratiques et la préservation de la biodiversité, des abeilles et de la nature.
(5) Une initiative citoyenne européenne (ICE), introduite par le traité de Lisbonne et entrée en vigueur en 2012, est un instrument de démocratie participative. Elle permet aux citoyens européens de proposer à la Commission un changement ou une évolution de la législation européenne. La Commission décide de la recevabilité de l’ICE et d’intervenir ou non. L’ICE peut porter sur n’importe quel domaine dans lequel la Commission est autorisée à présenter des propositions d’acte juridique, comme l’environnement, la politique agricole ou encore la santé publique. (Source : vie-publique.fr)
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.