À Callac, « ce n’est pas du racisme, mais… »
Dans les Côtes-d’Armor, un projet d’accueil de réfugiés suscite l’opposition farouche d’habitants liés à l’extrême droite. Les tenants du vivre-ensemble contre-attaquent.
dans l’hebdo N° 1730 Acheter ce numéro
Depuis plusieurs semaines déjà, la petite ville bretonne de Callac (Côtes-d’Armor) fait face à une vive opposition concernant un projet inédit d’accueil de réfugiés, « Horizon ». Outre les menaces de mort à l’encontre du maire, Jean-Yves Rolland, des tags et des pétitions hostiles au projet ont vu le jour. Et pour la deuxième fois en moins de deux mois, deux manifestations vont se tenir en même temps, samedi 5 novembre, dans les rues de Callac : l’une réunira les opposants au projet tandis que l’autre rassemblera ses partisans.
Porté par le Fonds de dotation Merci et la municipalité, Horizon est une initiative pilote qui prévoit d’accueillir des familles de réfugiés dans cette ville de 2 200 habitants du Centre-Bretagne, située à une vingtaine de kilomètres de Guingamp et de Carhaix. La commune a été sélectionnée parmi une dizaine d’autres pour « sa volonté politique forte », indique Merci, mais aussi pour son accessibilité et son attractivité en raison des infrastructures déjà existantes.
Elle a été retenue également pour ses « opportunités économiques ». Ce projet permettrait de redynamiser la ville et de pourvoir plus de soixante-dix postes vacants « dans les secteurs de la santé, du commerce, de l’artisanat et de l’agriculture », selon Jean-Yves Rolland, cité dans Le Télégramme du 23 septembre. Mais Horizon fait face à une vive opposition qui tend à se structurer.
Manif et contre-manif
Catherine Blein et Danielle Le Men, respectivement présidente et vice-présidente de l’association Les Amis de Callac – qui a vu le jour pour s’opposer à Horizon –, ne voient pas ce projet d’un bon œil : « Ce n’est pas du racisme, on pointe seulement du doigt le fait qu’un certain nombre de réfugiés vont arriver ici. On ne nous explique rien, c’est un projet démesuré », s’exclame Catherine Blein.
La retraitée, qui est aujourd’hui adhérente de Reconquête !, est une ancienne élue du Front national. Entre 2015 et 2021, elle a été conseillère régionale en Bretagne, mais exclue en 2017 du FN pour des propos islamophobes et homophobes. « Le maire n’a pas été élu sur ce programme, il doit consulter sa population », renchérit Danielle Le Men, institutrice à la retraite.
Les Amis de Callac appellent donc au retrait du projet ou à la tenue d’un référendum pour décider de la naissance ou non de cette structure d’accueil pour réfugiés. Un argument de façade car, ce qui semble surtout inquiéter les deux retraitées, « c’est de voir le profil de la ville changer ».
Rendu public au cours d’une réunion au printemps, le projet Horizon ne cesse depuis d’attiser les colères et la haine. Une première pétition avait d’ailleurs vu le jour au lendemain de cette réunion, le 15 avril, récoltant trois cents signatures. Le 17 septembre, deux -manifestations, inédites à Callac, ont eu lieu simultanément.
L’une, devant la mairie, lancée par les opposants au projet, a été organisée par Reconquête !, le parti d’Éric Zemmour, et a accueilli dans son cortège une ribambelle de groupuscules d’extrême droite tels que Riposte laïque, Résistance républicaine et Les Patriotes. Une contre-manifestation s’est tenue au même moment, à quelques encablures de la première, et comptait parmi les participants les branches locales de partis de gauche tels que le NPA, LFI et Ensemble, ainsi que de la CGT. Dans chaque cortège, trois cents personnes environ.
Accueillir ces nouvelles populations en zone rurale présente des avantages qui sont souvent liés à l’école quand il y a des familles qui arrivent.
Des élus locaux en faveur d’Horizon étaient présents : la députée de Guingamp, Murielle Lepvraud (Nupes), le maire de Callac et les sénateurs de la circonscription, Annie Le Houérou (PS) et Gérard Lahellec (PCF). Pour ce dernier, « il faut respecter les décisions souveraines des communes. Ici, le projet a été voté à l’unanimité. Callac est représentatif de ce Centre-Bretagne qui veut vivre, conserver ses écoles, son collège, ses services de soins, ses Ehpad. Ce sont les combats que mènent toutes les collectivités de Bretagne et de France ».
Selon Matthieu Tardis, responsable du Centre migrations et citoyennetés à l’Institut français des relations internationales et auteur d’une note publiée par cet organisme (1), « depuis les années 1970, la France accueille et répartit sur son territoire des demandeurs d’asile et des réfugiés. Accueillir ces nouvelles populations en zone rurale présente des avantages qui sont souvent liés à l’école quand il y a des familles qui arrivent. Cela permet de garder des classes ouvertes et de maintenir des infrastructures localement ».
Malgré cela, Horizon fait l’objet de nombreux articles très hostiles sur des sites comme Breizh-info, Riposte laïque, ou encore sur BFMTV et CNews. Le 19 octobre, Guillaume Peltier, vice-président de Reconquête !, a organisé un débat-dîner à La Chapelle-Neuve, commune voisine de Callac, la seule du canton opposée à Horizon. Une centaine de manifestants de gauche se sont rendus sur place et ont été repoussés par les gendarmes.
Un « projet-village »
Ni le Fonds de dotation Merci ni le maire Jean-Yves Rolland n’ont accepté de répondre aux questions de Politis : « On reçoit des réactions violentes tous les jours. Ça prend une ampleur phénoménale, d’un niveau auquel on ne s’attendait pas », fait toutefois savoir le maire. Léandre, 28 ans, enseignant en histoire, faisait partie des manifestants en faveur de l’accueil de réfugiés : « Avant ce projet, l’extrême droite, ici, n’était pas vraiment visible, on n’en entendait pas parler. »
Et Matthieu Tardis d’ajouter : « J’ai eu du mal à trouver des cas où il y a vraiment eu des problèmes. Il y a des tonnes d’exemples où tout s’est bien passé. J’ai beaucoup travaillé en Corrèze, par exemple, et souvent il y a une forte mobilisation de la population localement, ce qui crée de la cohésion sociale entre les habitants. Il peut y avoir des oppositions qui s’expriment plus ou moins fortement. Mais le plus souvent, soit il ne se passe rien, soit ceux qui ont voulu créer un mouvement d’opposition ne sont pas des locaux, ce sont surtout des tentatives de récupération nationale. »
Horizon a été imaginé comme un « projet-village », mettant en avant une volonté de vivre-ensemble. Grâce à ce projet, la mairie prévoit de réhabiliter des bâtiments. L’ancien collège Saint-Laurent accueillera ainsi des infrastructures à destination de tous les Callacois, comme une crèche et une maison des assistantes maternelles.
Dans une volonté de mixité sociale, les réfugiés accueillis seront « dispatchés », comme l’indiquaient le maire et deux élues dans L’Écho de l’Armor et de l’Argoat,mardi 25 octobre. Le Fonds de dotation Merci, qui a déjà financé et coordonné un projet humanitaire à Madagascar, a été lancé en 2009 par Bernard et Marie-France Cohen, les créateurs de la marque de vêtements de luxe pour enfants Bonpoint.
L’organisme devrait accompagner les familles pendant dix ans. Chaque personne sera suivie individuellement dans son parcours d’insertion socioprofessionnelle, et Merci aidera « à la création ou à la reprise de commerces et de services, par l’octroi de microcrédits, la mise à disposition de locaux et l’organisation de formations techniques au sein du village ». Quant au coût global du projet, selon Le Télégramme, 75 à 80 % seront financés par de l’argent public découlant de subventions, et le reste sera couvert par Merci.
« L’humain d’abord »
Le 14 octobre, le maire a adressé une lettre à tous les habitants de Callac pour apporter davantage de précisions sur les différents projets de la mairie censés revitaliser la commune, Horizon n’étant qu’une initiative parmi d’autres. « L’équipe municipale a entre ses mains la lourde tâche de redynamiser Callac […], mais avec pour maître-mot l’humain d’abord ! » précise Jean-Yves Rolland dans sa lettre.
La commune participe également au programme « Petite Ville de demain », lancé en 2020 par le gouvernement de Jean Castex et visant à redynamiser 1 600 communes rurales en leur apportant un soutien financier mais aussi technique. Car la petite ville bretonne, qui connaît un taux de chômage de 18 % chez les 15-64 ans (2), fait face à une population vieillissante – 70% a plus de 45 ans. Le projet Horizon, indépendant de l’État, fait néanmoins écho à la déclaration d’Emmanuel Macron du 15 septembre.
Le chef de l’État avait qualifié la politique actuelle d’accueil des migrants en France d’« absurde », car elle « consiste à mettre des femmes et des hommes qui arrivent, qui sont dans la plus grande misère », dans les quartiers les plus pauvres. Il souhaite donc répartir aussi les étrangers « dans les espaces ruraux ». Et en plus d’avoir une population vieillissante et un chômage élevé, Callac, qui accueille déjà une dizaine de réfugiés, compte 15 % de logements vacants, contre une moyenne nationale de 8 % (3).
Le maire a annoncé la mise en place d’une instance de gouvernance citoyenne, « car ce projet global doit être piloté en toute transparence ».
Subissant une récupération de l’extrême droite et une forte médiatisation – des journalistes du Canada et du New York Times se sont même rendus à Callac –, la manifestation du 5 novembre risque de prendre de l’ampleur. Pour Polo, militant de longue date en faveur d’Horizon, accompagné de Silverio, « qui dit manifestation, dit contre-manif ; pour sûr, on sera présents ! ».
De son côté, le maire a annoncé dans sa lettre publique la mise en place non pas d’un référendum, mais d’une instance de gouvernance citoyenne, « car ce projet global doit être piloté en toute transparence ». Non sans souligner :« Les nouveaux habitants sont une chance pour Callac, petite cité rurale vieillissante. » Pour cette passante, favorable à Horizon, ce qu’il faut surtout retenir – avec une pointe d’humour –, « c’est qu’à Callac, on est un peu des arriérés, mais on vit bien ! »
(1) « Une autre histoire de la “crise des réfugiés”. La réinstallation dans les petites villes et les zones rurales en France », juillet 2019, www.ifri.org
(2) En France, le chômage est de 7,4 % (Insee, 2022).
(3) Insee 2019 et 2021.