Bretagne : après le feu, ramener la vie
2 200 hectares sont partis en fumée dans les monts d’Arrée cet été. Depuis la rentrée, un comité constitué d’autorités, d’organisations et d’habitants se penche sur les solutions pour remettre les landes en état et prévenir de futurs incendies.
dans l’hebdo N° 1734 Acheter ce numéro
Un mont Saint-Michel s’élève aussi en Bretagne. Au cœur du Finistère et des monts d’Arrée, 381 mètres d’altitude, le mont Saint-Michel de Brasparts offre un panorama sur les landes et les tourbières alentour. Ce paysage abrite une faune et une flore typiques, comme le courlis cendré avec son long bec ou les grandes touffes de molinie bleue. « On a l’impression d’être sur une autre planète, en Irlande ou en Turquie, nous disent souvent les gens de passage », décrit Georges Issac, 84 ans, ancien professeur et formateur à la retraite, né au pied de cette colline et revenu y vivre au milieu des années 1990.
En cette fin d’octobre, les bourrasques et les trombes de pluie donnent un côté cafardeux au paysage, qui ajoute à sa désolation : les arbres et les landes sont calcinés à des centaines de mètres à la ronde, la terre est noircie de cendres. Fin juillet, des feux se sont déclenchés, déclarés éteints début septembre. Au total, 2 200 hectares sont partis en fumée. Soit un cinquième du site Natura 2000 des monts d’Arrée.
Ce vaste ensemble de landes a déjà connu des incendies par le passé. En 1976, 5 000 hectares avaient brûlé. « J’étais là et j’ai vu le feu démarrer », se souvient Georges Issac. D’autres de moindre envergure ont aussi défiguré cet espace en 1996, 2006 et 2010. Cet été, les flammes sont venues s’arrêter à quelques dizaines de mètres de l’habitation de l’octogénaire, qui a dû être évacué pour la première fois.
Avec les fortes chaleurs et les sécheresses qui se multiplient en raison du réchauffement climatique, la lande est une poudrière.
Deux enquêtes sont toujours en cours pour en déterminer les causes, dont l’une pour « destruction volontaire par incendie », les feux ayant « de manière certaine une origine humaine », a déclaré fin juillet la procureure de Quimper, Carine Halley. Malgré cette forme d’habitude et l’origine potentiellement criminelle des incendies déclenchés durant l’été, les inquiétudes grimpent. Avec les fortes chaleurs et les sécheresses qui se multiplient en raison du réchauffement climatique, la lande est une poudrière lorsqu’une étincelle se déclenche.
Faire entendre une autre voix
Fin juillet, le département et la préfecture du Finistère ont annoncé vouloir « restaurer les monts d’Arrée » d’ici au 18 juillet 2023, soit un an après le déclenchement des feux. L’objectif est triple : remettre en état les espaces brûlés, prévenir de futurs incendies et valoriser les zones sinistrées. Un comité de pilotage a vu le jour en septembre, ainsi que trois groupes de travail : « biodiversité, paysages et patrimoines », « agriculture, forêt, ressource en eau » et « défense des forêts contre l’incendie ».
Ceux-ci sont censés évaluer les besoins et proposer des solutions concrètes au comité. Aux tables de discussion se retrouvent des représentant·es de l’État, du département, des collectivités locales touchées, ainsi que différents acteurs impliqués sur le territoire : agriculteurs, propriétaires fonciers, chasseurs (leur fédération est la deuxième propriétaire foncière des zones sinistrées), le parc naturel régional d’Armorique ou l’association environnementale Bretagne vivante.
Pour mieux connaître les ambitions de ce comité, près d’une centaine de personnes sont présentes ce 21 octobre à la première réunion publique sur le sujet, dans la salle de sport de la commune de Brasparts. Dont Georges Issac. Fin août, il a rejoint le collectif Préservation des monts d’Arrée, créé en réaction aux incendies par des habitant·es et des amoureux·ses du coin. Leur souhait ? « Discuter des actions qu’on aimerait bien voir mises en avant et celles dont on ne veut pas entendre parler », décrit son porte-parole, Mickaël Liechty. Et, surtout, intégrer le comité de pilotage pour faire entendre une autre voix. Le collectif y est parvenu et compte un représentant dans chacun des groupes de travail déjà en place.
Des actions ont déjà été mises en place : nettoyage et coupe d’arbres calcinés, lancement de travaux pour élargir ou créer des pistes pour les secours, terrassement des pentes du mont Saint-Michel pour empêcher le ravinement et l’érosion. D’autres sont en réflexion : enterrer des citernes d’eau à plusieurs endroits, créer une vigie lors des périodes à risque, réfléchir aux plantations pour faciliter la reprise de la végétation…
« Beaucoup d’initiatives ont été prises en lien avec ce qui nous a été remonté du terrain, via le livre blanc, les courriers, les courriels », décrit Maël de Calan, qui a quitté Les Républicains en 2019 et préside le conseil départemental. Il vient d’enfiler une veste de chantier orange vif pour se protéger du froid de la salle de sport et, avec son débit dynamique, il complète : « Les monts d’Arrée, c’est un site emblématique à bien des égards : patrimonial, culturel et touristique. On va laisser le temps à la végétation de pousser, à la pluie de pleuvoir, à la faune de revenir… Mais il y a aussi plein de choses qui relèvent de la main de l’homme et on veut que ça aille vite. »
Face à cette lande qui s’embrase facilement, l’un des enjeux consiste surtout à entretenir suffisamment ce paysage. Sans intervention humaine, ces grands espaces – défrichés à l’origine pour des pratiques agricoles – se transforment. Les landes humides comme celles de Bretagne sont d’ailleurs en déclin, aussi bien en France qu’en Europe. Avec leur sol pauvre et peu productif, il a toujours été difficile d’y cultiver quoi que ce soit. Longtemps, les landes ont plutôt servi à des pratiques agropastorales, comme le pâturage et la fauche, pour nourrir du bétail et lui offrir de la litière. Mais avec le déclin de l’agriculture et l’exode rural, ces pratiques ont presque disparu.
« J’ai connu deux versions des monts d’Arrée, raconte Georges Issac. Avant les années 1950-1960, puis après, lorsque toute une génération est partie d’ici. Les terrains sont revenus à l’état sauvage puisque plus personne ne les exploitait ou entretenait. On a laissé la nature en l’état, on voit le résultat aujourd’hui… » La végétation a évolué en bosquets et en fourrés, fournissant de la matière sèche très combustible en cas d’incendie. Les landes se sont refermées par endroits, rendant certains terrains inaccessibles. Y compris aux secours.
Projets agricoles alternatifs
1,6 million d’euros : c’est la somme apportée par la région Bretagne à un programme d’entretien du paysage.
Pour entretenir le paysage, le parc naturel régional d’Armorique a donc lancé en 2021 le programme Life Landes d’Armorique, soutenu par la région Bretagne à hauteur de 1,6 million d’euros. Celle-ci prévoit de rallonger la somme en décembre. Lors de la réunion publique, tous les acteurs ont insisté sur la fonction importante de l’agriculture pour le territoire. « Elle joue un rôle pour maintenir les landes rases, qui abritent une biodiversité spécifique, et pour prévenir les incendies », détaille Jean-François Franck, directeur du parc. Des landes bien gérées créent ainsi un pare-feu naturel.
L’objectif est désormais d’encourager le plus possible la fauche et la pratique du pâturage. Le département, premier propriétaire foncier des monts d’Arrée, va s’y employer sur ses parcelles et cherche aussi à compléter sa maîtrise du foncier. « Aujourd’hui, il y a des terrains appartenant à des indivisions comptant parfois jusqu’à vingt parties, qui sont donc laissés en friche. On va lancer des appels pour dire qu’on est prêts à les racheter, avertit Maël de Calan. Ensuite, on les louera ou les prêtera à des agriculteurs. Ils auront accès à du fourrage et nous serons contents parce que les parcelles seront entretenues. »
« Ça fait vingt ans que je cherche des gens pour mettre des bêtes sur les landes, prévient toutefois Emmanuel Holder, conservateur des réserves naturelles des monts d’Arrée au sein de l’association Bretagne vivante, membre du groupe de concertation sur la biodiversité. Beaucoup de paysans ont arrêté parce qu’un animal y grossit moins vite que dans un système classique. Il faut aussi surveiller les animaux pour qu’ils n’attrapent pas de maladies ou ne s’enlisent. »
Mais il est prêt à prendre la relève : « On a des conventions toutes prêtes, avec un certain nombre de garde-fous pour avoir un pâturage correct, respectueux de la biodiversité et qui ne transforme pas le paysage en prairie. » Et il sent des prémices encourageantes : « Un certain nombre d’agriculteurs se sont réveillés. Il y a aussi des jeunes avec des projets un peu alternatifs qui veulent s’installer, pour lesquels l’accès au foncier est compliqué. Là, ça leur permettrait d’en avoir. » Succéder à la terre calcinée avec des lendemains qui paissent ?