« Emmanuel Macron intoxique le débat climatique »
Alors que s’ouvre la COP 27, Clément Sénéchal, chargé de campagne climat à Greenpeace France, dénonce l’inquiétant manque d’ambitions de la France.
dans l’hebdo N° 1730 Acheter ce numéro
Après un été dramatique à cause des sécheresses et des inondations qui ont fait des milliers de victimes aux quatre coins du monde, en particulier dans les pays du Sud, on peut espérer une réaction à la hauteur de la communauté internationale. Ce contexte jouera sûrement lors de la conférence mondiale sur le climat (COP 27), qui se déroule du 6 au 18 novembre à Charm El-Cheikh, en Égypte.
Clément Sénéchal, de Greenpeace France, espère des engagements forts et précis sur la question des énergies fossiles, pour plus de justice climatique envers les pays du Sud. Il scrutera également la position de la France, qui a perdu depuis longtemps son image de championne du monde du climat.
À la fin de la COP 26, les engagements nous conduisaient vers une hausse des températures de 2,4 °C à la fin du siècle. Où en sommes-nous sur les objectifs climat des États ?
Clément Sénéchal : Un des piliers de cette COP 27 est la question de l’atténuation, appuyée sur les objectifs climatiques, les résultats et les politiques publiques. L’an dernier, les engagements n’étaient pas suffisants pour avoir une chance de limiter la hausse des températures à 1,5 °C, qui est l’objectif de l’accord de Paris.
À la suite d’une décision de la COP 26 l’an dernier, les États avaient jusqu’au 23 septembre pour rehausser leurs engagements et tenter de rattraper ce retard. Seuls 24 pays ont répondu. Ni l’Union européenne ni la France ne l’ont fait. Un cas intéressant : l’Australie, grâce au changement de gouvernement, qui tranche avec le précédent, ultra pro-énergies fossiles.
Dans son rapport faisant l’inventaire des « contributions déterminées au niveau -national », l’ONU affirme qu’avec les objectifs actuels nous arriverons à + 10,6 % d’émissions de gaz à effet de serre (GES) sur la période 2010-2030, alors que le rapport spécial du Giec en 2018 expliquait qu’il nous faudrait parvenir à – 45 %. Le décalage est abyssal.
Les COP ne sont-elles pas de plus en plus à contretemps, vu l’urgence climatique ?
En effet, le changement climatique est en train de dévorer vivantes la planète et les populations les plus vulnérables, avec une accélération du rythme et une intensification des impacts. On l’a vu cet été avec les inondations au Pakistan. Le Giec estime que la moitié de la population mondiale est déjà affectée par le changement climatique, et, en parallèle, l’OCDE nous dit que les subventions aux énergies fossiles ont doublé l’an dernier. Parvenir à calquer les ambitions sur la réalité du changement climatique est un enjeu majeur aujourd’hui.
Le mécanisme des COP est en danger, faute de résultats tangibles. Mais cela reste un espace avec une incidence universelle, où les pays les plus vulnérables peuvent faire entendre leur voix face aux pays les plus puissants de la planète, qui sont aussi leurs bourreaux climatiques. Et puis c’est toujours un lieu d’effervescence, de partage d’expérience pour la société civile mondiale, pour les activistes, militants, experts…
La COP 27, qui se déroule sur le continent africain, parviendra-t-elle à mettre la justice climatique au cœur des discussions ?
Les États africains ainsi que les populations victimes du capitalisme fossile agressif prendront sans doute davantage la parole. La question des pertes et préjudices sera très présente, alors qu’elle est le parent pauvre des discussions depuis des années. On a besoin d’un vrai mécanisme de financement afin de secourir les populations touchées par un drame, les réinstaller dans des conditions dignes, sur le long terme, au-delà de l’aide humanitaire immédiate.
Il faut un dispositif international stable et permanent, parce qu’il y a aussi des phénomènes à « occurrence lente », comme la montée des eaux ou la désertification. Comment dédommage-t-on cela ? Comment permettre aux populations d’être résilientes face à ces phénomènes qui vampirisent petit à petit leurs modes de vie ?
Les pays du Sud, en première ligne du changement climatique, perdent de plus en plus confiance dans les pays du Nord.
Les États développés sont plutôt hostiles sur ce sujet. Certains commencent à bouger, comme l’Écosse, l’Allemagne, le Danemark, la Wallonie, mais la France campe sur une position bloquante ! Elle fait semblant de ne pas comprendre la différence entre l’adaptation et les pertes et préjudices, et considère les sommes actuelles suffisantes. Or c’est faux !
D’ailleurs, les financements internationaux pour l’atténuation et l’adaptation ne sont toujours pas au rendez-vous, puisque la promesse de mobiliser 100 milliards de dollars par an n’est toujours pas respectée. Aujourd’hui, rien que sur l’adaptation, les besoins pourraient aller jusqu’à 330 milliards de dollars par an d’ici à 2030… Les pays du Sud, en première ligne du changement climatique, perdent de plus en plus confiance dans les pays du Nord, qui ne sont pas à la hauteur de leur dette climatique historique.
Quelle responsabilité a la France, garante de l’accord de Paris ?
La France est en perte de vitesse dans ces négociations internationales, faute d’exemplarité. Sur les objectifs climatiques, elle est scotchée à -40 % depuis la signature de l’accord de Paris en 2015 et devient l’un des pays les moins ambitieux. Sur les résultats de baisse des émissions de GES, c’est extrêmement timide : entre 1 et 2 % par an depuis 2017, avec un énorme rebond en 2021 (+6,4 %) malgré un plan de relance vendu comme ultra-vert…
Quant aux politiques publiques, Emmanuel Macron a une approche purement politicienne, tacticienne et cynique de la question climatique : il lance un peu de folklore politique (Conseil de défense écologique, Convention citoyenne pour le climat, Conseil national de la refondation) tandis que, dans la réalité, seules des mesures anecdotiques sont prises (Ma prime rénov’, l’aide à l’achat de véhicules électriques), au détriment de politiques structurantes.
Dans la loi climat et résilience de 2021, tous les amendements permettant à la France de s’aligner sur l’ambition de l’UE ont été jugés irrecevables.
En 2019, la loi énergie climat proclamait l’urgence climatique et fixait un objectif de neutralité carbone en 2050, mais ne prenait pas de nouveaux engagements pour 2030. Elle relâchait même le niveau d’exigence sur le budget carbone 2019-2023. Fin 2020, le Conseil européen a acté un nouvel objectif de réduction des émissions de GES de 55 % d’ici à 2030. Mais, dans la loi climat et résilience de 2021, tous les amendements permettant à la France de s’aligner sur l’ambition de l’UE ont été jugés irrecevables ! La loi sur les énergies renouvelables (ENR) actuellement portée par le gouvernement est également trop faible.
Certes, elle accélère un peu sur l’éolien offshore, mais repousse les objectifs sur l’éolien terrestre, alors que la France est déjà dernière de la classe européenne sur les ENR. Cela nous met aussi dans une posture délicate dans les négociations internationales : on ne peut pas dire aux pays en développement qu’on leur finance des éoliennes, mais qu’on n’en veut pas sur notre territoire !
Le projet de loi de finances (PLF) 2023, en discussion à l’Assemblée nationale, envoie-t-il des signaux encourageants ?
Non, au contraire. Déjà, cet été, la loi de finances rectificative a débouché sur une subvention massive à la -consommation d’énergies carbonées, avec la ristourne généralisée à la pompe. Le budget 2023 est dans la même dynamique : de l’aveu même du gouvernement, les dépenses publiques défavorables à l’environnement – qui étaient déjà très hautes – vont doubler l’année prochaine…
Sur la partie recettes du PLF, c’est catastrophique. Alors que nous avons besoin de beaucoup d’argent pour la transition climatique, nos ministres refusent de taxer le capital, industriel et financier. Ils ont rejeté la surtaxe sur les superdividendes ou sur les grandes fortunes avec l’ISF climatique. Sans supprimer la niche fiscale sur le kérosène, ni baisser la TVA sur le train…
Pour transcrire la décision européenne de taxer les superprofits, ils ont fait le service minimum et les énergies fossiles seront très peu touchées, à l’inverse des énergies renouvelables. Typiquement, l’argent nécessaire pour les pertes et préjudices pourrait provenir des profits de Total, puisque ce sont les entreprises de ce type qui sont responsables des inondations en différents endroits de la planète.
Maintenant, il faudra regarder le volet dépenses du budget, s’il y a des investissements massifs engagés pour la transition écologique : sur la rénovation énergétique, sur l’agroécologie pour des repas de qualité dans la restauration collective, sur les mobilités avec des tickets climat pour les transports collectifs et décarbonés…
Emmanuel Macron ne fait donc plus illusion sur les questions climatiques…
Sa promesse d’être « la première grande nation à sortir du charbon » n’est toujours pas tenue : la centrale de Cordemais a continué de fonctionner, celle de Saint-Avold redémarre. Pire : un méthanier flottant au Havre a été acté… Bruno Le Maire avait dit qu’il interdirait aux banques d’investir dans des projets liés aux énergies fossiles si elles ne prenaient pas cette décision d’elles-mêmes : elle continuent de le faire et il ne bouge pas le petit doigt.
La colonne vertébrale du projet d’Emmanuel Macron est que la France devienne l’eldorado du capitalisme européen. C’est incompatible avec une politique climatique et écologique à la hauteur.
Pourquoi cela n’évolue pas dans le bon sens ? Parce qu’Emmanuel Macron a un projet politique de classe. Et la colonne vertébrale de ce projet est que la France devienne l’eldorado du capitalisme européen. C’est incompatible avec une politique climatique et écologique à la hauteur, car celle-ci nécessiterait de ramener l’économie dans les limites planétaires, en allant vers la sobriété : produire moins, consommer moins, avec un partage de l’effort équitable pour ne pas tomber dans des politiques d’austérité synonymes de précarité.
Le Président a développé tout un registre de greenwashing autour du technosolutionnisme, expliquant que seule l’innovation nous sauverait, pour ne pas avoir à toucher à notre logiciel économique. L’une de ses manœuvres principales a ainsi été de faire du nucléaire un argument vert : une vaste blague qui intoxique le débat climatique.
Il y a cependant quelques signaux positifs à noter dans le débat public : quand Macron dit que « c’est la fin de l’abondance », cela signifie la fin de la croissance, du récit essentiel du capitalisme. C’est une concession idéologique majeure du bloc néolibéral ! À la société civile de créer le rapport de force adéquat autour, de tenir le terrain et de continuer à faire progresser la prise de conscience.