« L’Amour telle une cathédrale ensevelie » : le chant de la mer

Pour dire la tragédie des boat people, l’auteur et metteur en scène haïtien Guy Régis Jr invente un singulier et bouleversant mariage entre théâtre et opéra, entre français et créole.

Anaïs Heluin  • 30 novembre 2022 abonné·es
« L’Amour telle une cathédrale ensevelie » : le chant de la mer
Un singulier et bouleversant mariage entre théâtre et opéra.
© CHRISTOPHE PEAN

Jusqu’au 11 décembre au Théâtre de la Tempête, Paris, 01 43 28 36 36.

Poète, romancier, auteur de théâtre et metteur en scène, directeur artistique depuis 2014 du festival Quatre Chemins à Port-au-Prince (Haïti), Guy Régis Jr n’a de cesse d’inventer des manières de pratiquer et de partager les écritures. Vivant et travaillant entre son Haïti natal et la France, il œuvre aussi entre deux langues, le créole et le français.

Il va et vient entre elles, en traduisant en créole Albert Camus, Maurice Maeterlinck, Marcel Proust ou encore Bernard-Marie Koltès, ainsi qu’au sein de ses propres créations. L’Amour telle une cathédrale ensevelie est, en matière de circulation des idiomes comme à bien d’autres titres, une grande réussite.

Cette pièce mêle la force du théâtre et celle de la musique.

Deuxième volet de La Trilogie des dépeuplés, cette pièce mêle la force du théâtre et celle de la musique pour exprimer la douleur des familles dont les enfants ont péri en mer. Située en Amérique du Nord, la première partie emprunte aux codes du théâtre occidental. Dans un décor moderne, un couple se déchire. Elle crie sa haine de lui, sa colère, tandis que lui répète son amour.

Incarnée par l’excellente Nathalie Vairac, la femme est noire, et l’homme, joué en alternance par Frédéric Fachena et François Kergourlay, est blanc. Cette différence, de même que l’âge avancé du monsieur, vient peu à peu fissurer le cadre classique. Structurés en courtes séquences qui toutes s’achèvent dans une obscurité totale, les échanges du couple s’acheminent vers la tragédie qui explique leur querelle. Parti rejoindre sa mère (la femme du couple) au « Kanada », où il lui a trouvé via internet son mari (l’homme), le « fils intrépide », découvre-t-on, a disparu en mer.

Ouvrir un dialogue

La mort de cet enfant de l’île ne sera annoncée que plus tard, après l’intervention d’un chœur dirigé par le guitariste classique haïtien Amos Coulanges. Installé en bord de scène, le musicien accompagnait dans l’ombre les cris du couple. À présent éclairé par un écran diffusant le naufrage d’une embarcation d’exilés, il est au cœur d’une partition musicale aux accents d’opéra.

Portée par quatre chanteurs – Déborah-Ménélia Attal, Jean-Luc Faraux, Dérilon Fils et Aurore Ugolin –, la voix du fils disparu, et de tous ceux qui, comme lui, périssent d’avoir vu dans l’Occident une issue, contraste avec la partie précédente sans entrer en conflit avec elle. Si L’Amour comme une cathédrale ensevelie exprime la douleur d’un Haïti déserté par ses filles et ses fils, ce n’est pas pour culpabiliser son pays d’accueil, mais pour ouvrir un dialogue. Pour, peut-être, reconstruire l’édifice effondré…  

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Culture Théâtre
Temps de lecture : 3 minutes