Leonard Cohen, portrait morcelé
Six ans après la mort du chanteur sortent un documentaire, un disque et un livre magnifique.
dans l’hebdo N° 1730 Acheter ce numéro
Leonard Cohen est mort le 7 novembre 2016. Six ans après, plusieurs réalisations lui sont consacrées. Hallelujah, les mots de Leonard Cohen, documentaire de Daniel Geller et Dayna Goldfine mêlant archives et témoignages, est visible en salle.
Hallelujah, les mots de Leonard Cohen, Daniel Geller et Dayna Goldfine, 1 h 56.
Here It Is : A Tribute To Leonard Cohen, Blue Note.
Leonard Cohen, Pascal Bouaziz, éditions Hoëbeke, 208 p., 25 euros.
Un album de reprises, Here It Is, réunit des pointures comme Iggy Pop ou Norah Jones mais offre peu de réelles réussites. Sans doute à cause d’un trop grand respect des chansons alors que, quitte à oser l’irrévérence, il faudrait choisir de s’en éloigner pour mieux y revenir autrement. Résultat : il manque cette langueur désespérée qui rend uniques les originaux et dont seul leur créateur avait le secret.
Auteur d’un très beau livre, Pascal Bouaziz se permet quant à lui l’irrévérence, n’hésitant pas à lancer une sentence comme celle-ci : « Leonard Cohen est dingue. » Avec le naturel et la légitimité que confèrent la proximité avec un artiste et une profonde connaissance de sa vie et de son œuvre. Peut-être aussi le fait de se sentir un peu dingue soi-même. Il affirme d’emblée que son ouvrage n’est pas une biographie et fait sien ce conseil de Cohen à l’un de ses biographes, Ira B. Nadel : « Ne laisse pas les faits masquer la vérité. »
Le livre tient donc plus du décryptage, une tentative de lire entre les lignes plutôt qu’un simple rappel des faits. L’auteur tient surtout à exprimer à la première personne sa relation avec celui qu’il considère comme « l’un des deux plus grands auteurs de chanson du XXe siècle ». L’autre se nomme Bob Dylan, on aurait pu le deviner. Moins un travail de détective, donc, qu’une œuvre de poète, même si l’on suit avec lui les chemins que Cohen a empruntés pour se trouver, vivre parfois, survivre souvent. Les femmes, les drogues, les religions et, évidemment, l’écriture.
Un texte à entendre
L’ouvrage est construit selon une chronologie en dix dates, du 21 septembre 1934, jour de naissance de Leonard Cohen, au 11 mai 2008, marquant le début d’une tournée qui le voit remonter sur scène après quinze ans d’absence. Dix dates et autant de somptueuses photographies en noir et blanc.
Mais il ne s’agit là que du squelette d’un récit dont toute la chair est constituée d’une suite de facettes esquissées pour aboutir à ce que Pascal Bouaziz nomme un « portrait morcelé », à travers des déclarations, des gestes et surtout une exégèse intelligente, profonde et sensible des chansons, des romans et des poèmes, de la façon dont lui les a compris, plus même, les a vécus – et les vit encore, on ne parle pas au passé des œuvres de Leonard Cohen.
Un long texte essentiellement fait de phrases très courtes qui donnent un rythme et un souffle continu. Ce texte, à un moment de sa lecture, on se surprend à l’entendre. Et l’on comprend que Pascal Bouaziz l’a écrit comme il a écrit ceux de certaines longues chansons de Mendelson, groupe dont il fut à l’origine.
Et dans une tentative d’apporter un autre éclairage aux chansons qu’il juge largement incomprises et d’en partager sa vision. Une vision à laquelle on n’est pas obligé d’adhérer dans ses moindres nuances, mais qui accompagnera forcément une replongée dans l’œuvre à laquelle ce livre incite vivement.